Pollution de l’eau du robinet en Seine-Maritime : Contexte et enjeux

eau non potable

Le manque de couverture hivernale des sols agricoles et le retournement de nombreux herbages pour y semer des céréales, dont les cours mondiaux sont au plus haut, ont eu pour effet, depuis le début de la période pluvieuse qui a commencé en octobre 2012, de rendre l’eau de plusieurs captages de Seine-Maritime turbides donc impropres à la consommation, du fait de l’entraînement de terre par ruissellement érosif. Depuis octobre, ce sont des dizaines de milliers d’habitants du département qui ont été touchés par ce phénomène, qui peut être accompagné d’une contamination microbienne de l’eau du robinet[1]. De l’eau en bouteille est distribuée à la population concernée. La Seine-Maritime, chaque année pointée du doigt dans les médias nationaux, est le seul département français où l’on est incapable de délivrer une eau potable aux abonnés dès qu’il pleut un peu trop.

 

De façon plus régulière mais aussi inéluctable, les cultures intensives de céréales, de colza pour la fabrication de carburants, ou de pommes de terre industrielles, sont les principaux responsables de la contamination généralisée des captages d’eau potable par les nitrates et pesticides. Ainsi en 2011 en Seine-Maritime, 339 000 habitants, soit près de 30% de la population, ont été desservis par une eau dépassant la norme en pesticides[2]. C’est trois fois plus qu’en 2010 ! La population n’est en général pas ou mal informée de ces dépassements.

 

Même si les rejets agricoles ne sont pas seuls à polluer l’eau, même si dans certains secteurs comme à Bolbec ou à Montville, des pollutions d’origine industrielle affectent gravement les ressources en eau, le principal responsable de la pollution des eaux de Haute-Normandie est, comme dans d’autres régions, l’agriculture.

 

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les captages d’eau destinée à l’alimentation humaine ne sont-ils pas mieux protégés ?

 

La loi sur l’eau de 1964 a instauré l’obligation de définir des périmètres de protection autour des captages, dans lesquels des restrictions doivent être prescrites, mais les pollutions diffuses d’origine agricole n’y sont pas traitées[3]. Seuls quelques arrêtés de périmètres prescrivent l’interdiction de retourner des herbages dans le périmètre rapproché. Aucun arrêté ne limite ou n’interdit l’épandage de pesticides dans ces périmètres de protection.

 

Pour pallier à cette manifeste insuffisance de protection des captages vis-à-vis des pollutions agricoles, l’article 21 de la loi sur l’eau de 2006 a introduit la possibilité de délimiter des zones plus vastes, dans les bassins d’alimentation des captages les plus préoccupants,et d’y établir des plans d’actions pour limiter les rejets de nitrates et pesticides. C’est la démarche dite ZSCE (zones soumises à contraintes environnementales) : les agriculteurs qui exploitent des terres dans ces zones ont, sur la base du volontariat, 3 ans pour mettre en œuvre les actions du plan d’actions, qui peuvent ensuite devenir obligatoires si la mise en œuvre volontaire est jugée insuffisante par le préfet. Au titre de la loi Grenelle, 500 captages ont ainsi été identifiés en France en 2009 pour y appliquer la démarche ZSCE. Ce sont les captages les plus contaminés par les nitrates et pesticides et desservant une population importante. Il y en a 12 en Seine-Maritime et 10 dans l’Eure. La loi Grenelle donnait jusqu’au printemps 2012 pour établir les plans d’actions.

 

Qu’en est-il en janvier 2013 ? En Haute-Normandie, même si toutes les études sont lancées, aucun plan d’action n’est élaboré, alors que les financements publics existent pour aider les agriculteurs qui veulent changer de pratiques (maintien des herbages, remise en herbe, plantation de haies, développement de l’agriculture biologique, etc.) Le buveur d’eau attendracar ce sont en général des secteurs oùl’eau distribuée dépasse les normes en nitrates et/ou pesticides,à moins que la collectivité en charge de la production et de la distribution de l’eau ne réalise la décontamination de l’eau avant distribution, coûteux investissements payés par le consommateur selon le fameux principe… « pollué-payeur » !

 

Rappelons en effet que les agriculteurs ne contribuent qu’à hauteur de 2% de la redevance eau (le reste est pris en charge par les industriels et usagers). En comparaison le seul coût des traitements liés aux pesticides représente 10% du coût global de traitement. La stratégie française du curatif choisie jusqu’à présent est une impasse financière menant à une augmentation constante du prix de l’eau et à la fermeture des captages d’eau. D’autres pays, tels le Danemark ou l’Allemagne ont démontré que l’on pouvait par des mesures préventives réduire très fortement les pollutions (-30% en dix ans) tout en divisant par 2,5 le coût global d’accès à l’eau.

 

Pour l’instant ce n’est pas le chemin pris en France puisque la directive européenne sur les nitrates d’origine agricole, dite directive nitrates, destinée à diminuer la pollution de l’eau par les nitrates, qui date de 1991, est mal appliquée. De ce fait,un contentieux est en cours avec la Commission européenne (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-170_fr.htm), pouvant déboucher sur de lourdes sanctions financières. L’obligation de couverture automnale des sols à la fin 2012, n’est manifestement pas respectée dans notre région. Et un nouveau programme d’actions, destiné à se conformer aux demandes bruxelloises, agite la profession agricole. Le stockage des lisiers et fumiers à la ferme doit être d’au moins 6 mois, car on ne peut pas l’épandre quand il gèle, ou quand il pleut, sous peine de polluer là aussi les captages. Le refus de l’extension de la durée de stockage est l’objet principal de la mobilisation agricole actuelle.

 

Il est urgent d’agir positivement

 

Les solutions pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement sont connues. Les financements pour accompagner cette mutation dans les bassins d’alimentation des captages existent, notamment avec les aides de l’Agence de l’eau. Il manque seulement, de la part de l’Etat, des collectivités chargées de la production et de la distribution d’eau, et surtout du monde agricole, la volonté d’agir.

 

Plutôt que de vivre la protection de l’environnement comme une contrainte, plutôt que de rejeter en bloc le changement, tous les acteurs concernés doivent trouver ensemble le compromis entre une agriculture durable et la préservation de la ressource en eau potable, et rapidement le mettre en œuvre. C’est une obligation réglementaire. C’est surtout un enjeu de santé publique.



[3] En 2011, soit 47 ans après la loi fixant l’obligation, 30% des 253 captages de Seine-Maritime n’avaient toujours pas défini leurs périmètres de protection et les restrictions à y appliquer. Voir page 2 du bilan 2010 de l’ARS : http://www.ars.haute-normandie.sante.fr/uploads/media/Bilan_AEP_2010_01.pdf

 

Pour télécharger cette note de synthèse en format pdf c’est ici.

 

 

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