Discours de politique générale par Laure Leforestier

Groupe EELV_Séance plénière_EELV-CRHN

 

Monsieur le Président, cher-e-s collègues,

 

L’organisation territoriale française, par sa complexité, pose des problèmes de démocratie et d’efficacité. Après l’acte I et l’acte II, voici venir l’acte III de la décentralisation en France. C’est l’histoire d’une réforme toujours inaboutie. Et le rythme des lois s’accélère depuis une quinzaine d’années : chaque législature produit un grand texte sur l’organisation des territoires. Force est de constater que les problèmes demeurent : surabondance et émiettement des structures, enchevêtrement des compétences, instabilité des modes de financement.

Pourquoi la France a-t-elle tant de mal à stabiliser son organisation territoriale ? Depuis les années 60, deux modèles s’affrontent et se superposent : le premier, hérité de la révolution française, est organisé autour des 36 782 communes (dont 32 000 comptent moins de 2 000 habitants…) et d’une centaine de départements. Face à ce diptyque, l’Etat cherche depuis plus de quarante ans à promouvoir deux autres échelons jugés plus adaptés aux évolutions de l’économie et de la mobilité : l’Agglomération et la Région.

L’échelle de la Région correspond à l’affirmation d’une logique économique, absente de la rationalité administrative du département. Le pouvoir régional a pourtant du mal à s’affirmer en France. Il faudra attendre 1982 pour que les Régions accèdent au statut de collectivités locales à part entière. Tout comme l’acte 2 de la décentralisation orchestré par Jean Pierre Raffarin en 2003, l’acte III en préparation devrait transférer d’importants blocs de compétences de l’Etat aux Régions dans le domaine du développement économique et de la formation.

Pour autant le pouvoir politique des Régions reste limité : elles n’ont pas de prééminence sur les autres niveaux de collectivités. Et elles ont moins de moyens : en 2011, leurs dépenses représentaient moins de 40 % de celles des départements, et 12 % seulement de celles de l’ensemble des collectivités. Sans parler de leurs poids comparés aux régions d’autres pays d’Europe : quand le Conseil régional d’Alsace gère 700 millions d’euros de budget, le Bade-Wurtemberg, juste de l’autre côté du Rhin, en brasse… 37 milliards.

Pas plus que les intercommunalités n’ont évincé les communes, les régions n’ont marginalisé le département. Pire, ceux-ci sont sortis renforcés de l’acte II qui leur a transféré d’importantes compétences sociales et de déplacements, alors que l’objectif affiché était le renforcement du pouvoir régional. Résultat : les deux modèles d’organisation coexistent pour former le fameux millefeuille territorial français. D’où ce paradoxe : la France est un pays à la fois excessivement décentralisé – avec trois niveaux de collectivités élues, légitimes à intervenir dans tous les domaines d’action publique ; et relativement peu décentralisé quand on considère leur poids financier comparé à celui de l’Etat.

Cette situation pose plusieurs problèmes. Démocratique d’abord, l’action publique étant devenue illisible. Comment savoir qui est responsable de quoi quand de multiples niveaux de collectivités enchevêtrent leurs compétences, c’est-à-dire leur pouvoir d’agir, mais aussi de bloquer ? La montée en puissance des intercommunalités ne s’est pas accompagnée d’un réel souci démocratique, les conseillers intercommunaux n’étant jusqu’ici pas élus directement.

Un problème d’efficacité de l’action publique ensuite. Nul doute que la décentralisation, en rapprochant les centres de décision du terrain, a sensiblement amélioré nombre de politiques. Il suffit pour s’en convaincre de considérer le développement de l’offre de transports publics urbains, les équipements culturels et sportifs ou la modernisation des collèges et des lycées. Mais l’enchevêtrement des compétences ralentit les procédures et alourdit les coûts.

Le problème budgétaire prend une acuité particulière aujourd’hui. A l’heure où l’Etat se serre la ceinture, il est légitime que les collectivités participent à l’effort. Mais l’équation est délicate : entre la stagnation – et demain la baisse – des dotations de l’Etat, d’une part, l’augmentation de leurs compétences et donc de leurs besoins, d’autre part, et enfin, leur désir légitime de conserver des marges de manœuvre politiques, il y a manifestement incompatibilité.

La méthode de Nicolas Sarkozy, à travers la loi de 2010, avait été de sacrifier la clause générale de compétence pour favoriser l’élimination des doublons entre collectivités, et de prendre le chemin d’un rapprochement des régions et des départements, à travers l’élection de conseilleurs territoriaux communs aux deux assemblées. Ce système présentait de nombreux inconvénients. Tout d’abord par la création d’un être hybride, le conseiller territorial, appeler à siéger de manière schizophrène dans deux structures avec deux stratégies inverses possibles, la cantonalisation ou la régionalisation, l’échelon de proximité ou l’échelon de mission. Avec également la suppression du scrutin proportionnel tel qu’il existe actuellement pour l’élection des conseillers régionaux et la mise en place d’un scrutin uninominal, portant atteinte à la parité et à la diversité de la représentation politique.

Je m’arrête un instant sur cette curiosité qu’est le canton, découpage électoral, qui voit sur l’ensemble du pays, métropole et outre-mer, 4039 cantons survivre .On se souviendra que la carte cantonale repose encore largement sur le premier découpage cantonal issu de la loi du 8 Pluviôse an IX (28 janvier 1801). Si le canton était adapté à la France rurale du XIXe siècle, il n’a pas su prendre le double virage du dépeuplement des campagnes et de la croissance des villes, et n’est plus en phase avec les enjeux d’aujourd’hui, dont le premier est l’enjeu démocratique.

Prenant le contre-pied de la réforme de 2010, le gouvernement actuel a supprimé les conseillers territoriaux. Cependant, alors qu’il semblait que l’on se dirigeait vers une forme de proportionnelle départementale, le choix a été fait d’instituer des binômes paritaires sans augmenter le nombre d’élus. Cela aura au moins l’avantage de traiter enfin, de la conséquence des évolutions démographiques. Les nouvelles modalités régissant l’élection des conseillers départementaux prévoient la diminution de moitié du nombre actuel des cantons ce qui implique le remodelage de la carte cantonale. Qu’est-ce qui justifie en effet aujourd’hui des écarts démographiques entre les cantons pouvant aller de 1 à 45 ? Pour citer des exemples régionaux qui ne vont pas jusqu’à cet extrême, je rappellerai qu’en Seine-Maritime le canton de Fontaine Le Dun représente moins de 5000 habitants quand celui de Boos approche les 40 000.

Dans le débat sur la réforme du mode de scrutin dans les départements, on a vu la droite poursuivre son mélange de démagogie et de retardement. Après s’être opposée à la transformation du nom du conseil général en conseil départemental, y compris par la bouche de ceux qui avaient déposé en 2008 un texte demandant exactement le même changement, la palme peut être attribuée à Christian Estrosi député-maire du comté de Nice qui déclame « ce que vous êtes en train de proposer par cette réforme, c’est une forme d’humiliation, de mépris, à des hommes et des femmes qui habitent les territoires les plus reculés de la République, qui, depuis 1871, s’honorent de pouvoir revendiquer quelquefois qu’ils sont les citoyens d’un chef-lieu de canton ». On s’interrogera d’ailleurs pourquoi dans son envolée, Christian Estrosi fait référence à 1871, alors que le canton date de 1790 et que l’essentiel de leur découpage date du 8 pluviôse an IX (28 janvier 1801). A moins qu’il n’ait craint qu’on lui rappelle que le comté de Nice n’était pas français à l’époque !

Je ne peux m’empêcher de penser que le combat engagé par la droite n’est pas essentiellement pour défendre le concept de territoire mais est bien mené pour garder dans nombre de conseils généraux une majorité qu’une représentation juste de la population lui ferait très probablement perdre. Au delà de ce combat politicien, fondé sur la défense de l’indéfendable, au nom de la mystique du territoire, cette réforme suscite l’opposition de principe des écologistes qui rappellent leur attachement à la proportionnelle. Et celle des féministes, choquées, à l’idée que, pour être élue, une femme doive nécessairement être « associée », « accolée » à un homme.

 

Je terminerai sur une note optimiste en notant qu’avec d’acte III de la décentralisation on aborde enfin la question des relations entre collectivités. Le partage des compétences n’est plus réglé par une sorte de taylorisme territorial. On prend acte que, pour agir, il faut combiner des points de vue et des fonctions, et que cela se fait en situation. La loi entérine le fait qu’on ne peut définir une spécialisation sectorielle absolue, valable partout en France. A travers les conférences territoriales d’action publique, organisées au niveau de chaque région, c’est désormais un pacte de gouvernance entre les collectivités qui organisera le système. Des configurations très différenciées pourront voir le jour. C’est dans cette perspective qu’il faut apprécier le droit à l’expérimentation qui va prendre de la substance.

 

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