Colloque : conciler restauration écologique et développement économique, une utopie ?

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Le Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande, le Port de Rouen et le Port du Havre,

organisent le colloque : « Concilier restauration écologique et développement économique, une utopie ? »

le mardi 1er octobre 2013 de 8h30 à 18h00 au cinéma de Caudebec-en-Caux.

Véronique Bérégovoy intervient en conclusion.

Programme et inscriptions sur le site du Parc Naturel Régional.

Ci-dessous l’intervention de Véronique Bérégovoy :

Mesdames, Messieurs les élu-e-s,
Mesdames les actrices, Messieurs les acteurs,
Mesdames, Messieurs,

Jeudi 19 septembre, nous étions avec Jean-Pierre Girod, Président du Parc et Jean-Pierre Morvan, Directeur du Parc, au Conseil National de la Protection de la Nature au Ministère de l’écologie, moment très solennel où se décidait la validation définitive de la nouvelle charte du Parc 2014 à 2025.

Permettez moi de profiter de cette journée pour remercier le Président du Parc ainsi que son Directeur et toute l’équipe du Parc, pour le travail colossal qui a été effectué sur la nouvelle charte. Remercier aussi tous les acteurs, les élus et les habitants qui se sont engagés dans cette démarche pour construire un projet d’avenir sur le territoire du Parc ! Quatre années d’échanges, de concertation, de partages, de coups de gueule aussi, de désaccords, de réconciliations, mais au final quel beau projet porté par toutes celles et tous ceux qui y ont cru, qui y croient dans toutes leurs richesses, leurs diversités, projet que nous allons pouvoir mettre en œuvre ensemble.

Aujourd’hui, nous nous sommes réunis pour débattre sur une question essentielle « Concilier restauration écologique et développement économique, une utopie ? » Cette manifestation s’inscrit donc dans le cadre de la future charte du Parc au titre d’un objectif prioritaire et expérimental qui est « Eviter, réduire et compenser les impacts des projets d’aménagements sur la biodiversité ».

Riche sujet, riche débat comme j’ai pu le constater tout au long de cette journée : « Prise de conscience forte que nous devons prendre en compte les enjeux environnementaux », « Inventer l’avenir », « la volonté d’être vertueux », « Arrêter de taper le capital naturel », « Se recentrer sur des valeurs qui respectent le vivant », « Changer notre manière de penser », « Construire une stratégie globale » « Développer l’économie circulaire », « Mettre en place une gouvernance intelligente », « Anticipation », « Concertation », « Régulation », voilà l’exemple de sujets qui ont été abordés et qu’il est nécessaire de travailler car je pense qu’ils s’inscrivent tout à fait dans ce que nous voulons construire. Un territoire vivant, dynamique, équilibré, durable, un territoire où il fait bon vivre, tout simplement !

Avant de revenir plus précisément sur l’objet de cette journée, je souhaitais poser mon propos dans le contexte international dans lequel nous sommes, car au vu du profil économique de notre région et de notre position stratégique, nous devons inévitablement avoir une vision globale de la situation car nous avons notre part à jouer et surtout des responsabilités à prendre, des choix à faire.

L’humanité n’a jamais brulé autant de pétrole, de gaz ou de charbon selon l’Agence internationale de l’énergie. Même au sein de l’Union Européenne, après 5 années consécutives de baisse, les émissions de gaz à effet de serre ont recommencé à augmenter depuis 2009.

Les chiffres sont là, en 30 ans la surface de la glace qui recouvrait l’Arctique a diminué de 47%. Les forêts, poumons de notre planète dépérissent, environ deux tiers des arbres seraient concernés selon une étude internationale de Nature.

Et dernièrement, le 5ème rapport du GIEC (dont vous avez pris connaissance) ne fait que confirmer l’état inquiétant de notre planète.

En France, le trait de côte recule de 10 à 100 fois la valeur de l’élévation de la mer. Ce sont donc de 3 à 30 cm que la terre perdrait chaque année sur la mer. Même si cela est difficilement palpable, 27% des côtes de la France métropolitaine et 45% des plages sont aujourd’hui considérées en érosion et 1,4 million de français vivent dans des zones exposés à des submersions marines. Même si nous ne sommes pas touchés aussi fortement que sur les côtes méditerranéenne ou atlantique, nous sommes, nous aussi, directement concernés et impactés par cette situation.

Ainsi, si nous continuons à nous développer comme nous l’avons fait pendant ces six dernières décennies, en épuisant une majeure partie de nos ressources naturelles, sans tenir compte des enjeux auxquels nous sommes confrontés, cela serait particulièrement irresponsable.

En effet, si nous continuons sur le même modèle, les effets seront désastreux et les coûts gigantesques : hausse du niveau de la mer comme je viens de le rappeler, acidification des océans, perte de biodiversité, catastrophes climatiques de plus en plus fréquentes sont les effets les plus connus.

Au delà des phénomènes naturels, tous les experts s’accordent à faire le constat que le réchauffement, sans précédent actuellement en cours, est bien de la responsabilité de l’homme.

Il y a donc urgence à agir. Les investissements qui seraient consentis dans les deux décennies à venir auraient un effet très important pour limiter les effets climatiques et la dégradation de la biodiversité dans la seconde moitié de ce siècle et le suivant. Ainsi de manière tangible, notre génération a t-elle directement la responsabilité d’une grande partie du bien être des deux générations suivantes. Jamais la définition du développement durable n’aura revêtu autant de sens concret « Un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futurs à répondre aux leurs ». Il dépend donc à nous, aujourd’hui, de financer les dépenses nécessaires utiles pour laisser un monde viable à nos enfants et petits-enfants.

Comme je le rappelais, de part sa situation économique stratégique, la Haute-Normandie doit prendre toute sa place dans ce renouveau, le défi à relever est immense mais aussi passionnant ! D’ailleurs à travers un certain nombre de politiques, la Région a commencé à engager cette transition, je ne citerais que quelques exemples de politiques régionales que nous menons : APE (appel à projets énergie), le développement des déplacements doux, l’amélioration du transport ferroviaire, la forte mobilisation autour des projets éoliens offshore, le chèque énergie, le soutien à la construction et à la rénovation de bâtiments de haute performance énergétique, le SRCAE (schéma régionale climat air énergie), le SRCE (schéma régional de la cohérence écologique avec la préservation et la restauration des corridors écologiques par les trames vertes et bleues), la stratégie régionale de la biodiversité, l’observatoire de la biodiversité outil d’évaluation d’une très grande qualité qui d’ailleurs pourrait nous servir pour évaluer cette nouvelle doctrine « Eviter Réduire Compenser », le développement de l’économie sociale et solidaire, le développement d’une agriculture biologique et de circuits courts et bien évidemment, le soutien à nos conservatoires qui œuvrent pour la préservation des espaces naturels, de la faune et la flore, les conservatoire des sites, du littoral et de Bailleul.

Oui, aujourd’hui, il y a urgence à agir dans la bonne direction, à construire ensemble la transition énergétique de notre territoire, à construire ensemble la transition écologique de notre territoire.

Je suis évidemment convaincue que tous ici présents ne souhaitez ni subir les crises économique, sociale, environnemental, ni ne rien faire, mais bien agir, agir en faveur d’un projet de territoire qui réponde à ces enjeux.

A ce titre, la nouvelle charte du parc s’inscrit tout à fait dans cette dynamique avec, entre autre, les 3 ambitions qu’elle porte, à savoir :

  • « Etre garant des équilibres dans un territoire riche et respectueux de ses paysages, de sa biodiversité et de ses patrimoines naturels et culturels »
  • « Coopérer pour un développement local durable, innovant et solidaire »
  • « Tisser des liens entre les habitants et leur territoire en construisant un sentiment d’appartenance et une culture commune »

La Région a toujours eu à cœur de porter ce projet considérant qu’il est un axe prioritaire, incontournable, essentiel dans nos politiques environnementales et je dirais même dans nos politiques tout court.

Nous avons adopté le projet de charte en séance du 24 juin dernier et l’ensemble de l’assemblée a reconnu la qualité, la pertinence, la cohérence de ce projet. Projet structurant qui est un axe majeur d’aménagement de notre territoire.

En effet, notre parc régional se situe dans un espace un peu particulier pour ne pas dire très singulier. Situé entre deux grandes agglomérations au fort développement industriel (avec 433 établissements industriels localisés pour la plus part le long de la Seine), deux grands ports maritimes avec une pression anthropique très importante (tant par l’urbanisation, l’industrialisation, l’exploitation de granulats, l’agriculture intensive…). Et par conséquent, nous devons tenir compte de cette réalité d’où le travail sur la stratégie du Parc sur la trilogie « Eviter Réduire Compenser » (ERC).

L’estuaire de la Seine, l’un des plus importants d’Europe, 160 km de long et plus de 10 000 ha de zones humides, reconnu d’importance internationale avec sa réserve naturelle qui présente une mosaïque d’habitats naturels remarquables, est très altéré.

Nous devons avoir conscience qu’il est un élément essentiel pour le bon fonctionnement de notre écosystème. En effet, il représente un axe majeur garantissant les fonctionnalités écologiques du fleuve « La Seine ».

Riche, complexe mais fragile et très fragilisé, le milieu estuarien doit être préservé et restauré.

Il nous faut donc construire de nouveaux équilibres pour maintenir une biodiversité essentielle à notre propre existence. Et l’axe Seine ne peut pas être appréhendé que comme un couloir économique et logistique !

L’estuaire est un milieu remarquable extrêmement riche en biodiversité qui nous rend des services immenses ! Or une des principales causes de l’érosion de la biodiversité est la fragmentation des milieux naturels et des paysages. Elle isole les populations animales et végétales et empêche les espèces d’accomplir leur cycle de vie. Ce morcellement impacte également la société humaine puisque de nombreux services écologiques fournis par la nature sont menacés : régulation et épuration des eaux de ruissellement, la protection des sols contre l’érosion, l’amélioration de la qualité de l’air, le patrimoine paysager, la pollinisation et bien d’autres encore. Nous avons dans notre région le département le plus fragmenté de France, la Seine-Maritime !

Face à ce constat, le parc met en place une stratégie volontariste en matière de restauration des fonctionnalités écologiques de la trame verte et bleue, par un accompagnement des projets soumis à l’obligation d’éviter de réduire ou de compenser leurs impacts.

Aujourd’hui, notre parc régional est le seul en France à proposer cette expérimentation ce qui constitue un véritable enjeu national d’aménagement du territoire. Terre d’expérimentation, terre d’innovation, terre d’exemplarité, oui le parc peut nous montrer une autre voie qui allie environnement et développement économique durable soutenable, créateurs d’emplois locaux.

Oui, nous pouvons nous développer autrement si nous en avons la volonté. Oui nous pouvons nous développer avec une gestion économe de l’espace. Et pour cela, je souhaiterais que l’on puisse acter ensemble ce qu’on ne fera plus :

C’est à dire instruire, porter des projets d’infrastructures plus au moins lourds sans que soit pris compte de manière sincère, efficiente les impacts environnementaux. Ou quand ils sont pris en compte, mettre en place des mesures compensatoires de dernières minutes ou restaurer au coup par coup, ce qui ne fonctionne pas.

Par exemple, même si les ports intègrent l’environnement dans leur projet, les marges de progrès sont grandes : Ne plus voir des mesures compensatoires non adaptées, voir non respectées comme cela a pu être le cas suite au projet Port 2000 au Havre.

Ne plus remettre en cause des engagements qui pourtant contractualisés, des financements comme le classement des boucles de Seine suite au chantier de l’arasement du chenal porté par le port de Rouen.

Je m’arrêterai là pour les remarques désagréables mais il faut bien qu’on se dise les choses si nous voulons avancer !

Et je souhaiterais qu’on puisse acter ensemble ce qu’on fera et entre autre mettre en œuvre la stratégie ERC. Car cette stratégie ne peut être que partenariale et concertée pour être efficiente. Et c’est là où la place et le rôle de chacun est essentiel : l’Etat, les collectivités, les grands ports maritimes, le GIP Seine Aval, le conservatoire du littoral, les organismes gestionnaires d’espaces naturels, les agriculteurs, les industriels, l’agence de l’eau, l’établissement public foncier, la Safer, les associations, les habitants et bien évidemment NOTRE Parc. Oui, tous ensemble, nous devons expérimenter cette stratégie, relevons le défi !

Les questions environnementales doivent faire partie des données de conception des projets au même titre que les autres éléments techniques, financiers, économiques.

La doctrine « éviter réduire compenser » affiche les objectifs à atteindre et le processus de décision à mettre en œuvre. Elle s’inscrit dans une démarche de développement durable qui intègre les trois dimensions que sont l’environnement, le social et l’économique et vise en premier lieu à assurer une meilleure prise en compte de l’environnement dans les décisions.

Aujourd’hui, avant de lancer un projet ou un aménagement, quel qu’il soit, il faut vraiment analyser méthodiquement son opportunité, son utilité à court, moyen et long terme, évaluer son intérêt général, prendre en compte son coût global et l’ensemble de ses impacts qu’ils soient environnementaux, économiques ou sociaux. Répond-il à la problématique climatique énergétique ? Quand un projet détruit des espaces naturels, il ne suffit pas de dire qu’on mettra en place des mesures compensatoires. La compensation reste une vision technique de la nature, son utilisation doit donc être limitée car elle ne remplacera pas ce qui a été détruit à tout jamais ! Ce n’est pas une baguette magique !

Et cette nouvelle façon de procéder n’est pas du tout un frein au développement économique comme certains le disent, mais bien au contraire, c’est une opportunité à saisir pour créer un nouveau modèle de développement qui produit et consomme intelligemment, en synergie avec la réalité de notre environnement, en prenant en compte l’ensemble des enjeux que je viens de citer.

Nous ne pouvons plus aborder le développement économique que par le seul prisme de la performance mais il est essentiel d’avoir une vision globale et de concilier protection et mise en valeur de l’environnement, du développement économique durable, du progrès social et de la démocratie participative. Voilà ce que nos politiques publiques doivent mettre en œuvre.

Oui cela est possible, oui nous pouvons construire ensemble ce nouveau modèle où le bien vivre et le bien être seront une réalité pour tous. Encore faut-il y croire sincèrement et tout faire pour relever ce noble défi et je compte sur vous le relever !

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