André Lefebvre

André

De l’eau de qualité partout en 2015?

 

En 2013, comme les années précédentes, en tant que représentant du Conseil régional de Bourgogne au sein des agences de l’Eau Seine Normandie et Loire Bretagne, j’ai consacré tous mes efforts à la reconquête de la qualité de l’eau.

J’ai été étonné que François Hollande dans son discours d’ouverture de la conférence environnementale au Palais d’Iéna le 20 septembre n’ait pas mentionné une seule fois l’Eau alors qu’une table ronde sur la « Politique de l’Eau » y était présidée par deux Ministres, Stéphane LE FOLL et Pascal CANFIN. Je me demandais ce que cette table ronde pouvait apporter en plus du rapport de Philippe MARTIN sur « La gestion quantitative de l’eau en agriculture » et du « Rapport d’évaluation de la politique de l’eau en France » par Michel LESAGE. Rapports complétés par ceux produits par Anne-Marie LEVRAULT et Henri TANDONNET qui concluaient les travaux des groupes d’évaluation de la politique de l’Eau mis en place par le Comité National de l’Eau auxquels j’ai participé.

J’ai été agréablement surpris par la qualité du résumé synthétique de cette table ronde sur l’Eau et de la rapidité avec laquelle le Gouvernement a sorti la deuxième Feuille de route pour la transition écologique. En prévoyant lucidement que l’objectif du bon état écologique pour deux tiers des masses d’eau de surface en 2015 ne serait pas atteint, notamment à cause des pollutions agricoles, cette « Feuille de route » prévoit 10 chantiers prioritaires parmi lesquels on trouve entre autres:

  1. Préserver et améliorer la qualité de l’eau et des milieux aquatiques avec l’objectif de renforcer la lutte contre les pollutions liées aux nitrates et aux pesticides.
  2. Améliorer l’efficacité de la politique de l’eau en renforçant la gouvernance locale.

J’ai été invité à participer au groupe de travail sur la gouvernance au titre de l’ARF (Association des Régions de France) ; ce groupe a rendu ses propositions mercredi 18 décembre au Comité National de l’Eau réuni à l’Assemblée Nationale. Le CNE a émis un avis favorable sur les conclusions de ce groupe qui améliorent notamment la représentation des associations de consommateurs, de l’environnement et des sports nautiques au sein des Comités de bassin des agences de l’eau, sans aller jusqu’à la parité entre usagers économiques, qui défendent leur pré carré, et usagers non professionnels, qui privilégient la qualité de l’eau et l’intérêt général.

Si on peut se féliciter de la réactivité et de l’efficacité du chantier gouvernance, je ne pense pas que le chantier pour renforcer la lutte contre les pollutions diffuses agricoles aille aussi vite et donne des résultats visibles rapidement. En témoigne la convention pluriannuelle pour la reconquête de la qualité des eaux souterraines en Eure et Loir sur le point d’être signée entre l’Etat, les agences de l’Eau Loire Bretagne et Seine Normandie, le Conseil général et la Chambre d’agriculture. Cette convention est emblématique de l’échec de la politique de l’eau dans sa capacité à résorber les pollutions diffuses. Simultanément à l’abandon de nombreux points de captage, elle prévoit des interconnexions des  réseaux d’eau potable. Elle a été initié par l’Etat : l’ARS (Agence Régionale de Santé)  s’inquiétait  à juste titre de la santé des Euréliens auxquels 92 communes (sur 159 communes polluées) distribuaient une eau classée non conforme juridiquement en ce qui concerne les pesticides et le sélénium : le Préfet Didier MARTIN pouvait les fermer et imposer la distribution d’eau potable ! D’autant qu’en Eure et Loir : 29% des 265 puits et forages utilisés en 2010 dépassaient aussi la norme de 50 mg de nitrates par litre d’eau ! Dans ce seul département de Beauce, grenier à blé de la France et emblématique de l’agriculture productiviste, 5 à 6 millions d’euros seront donc consacrés aux interconnexions de réseaux : 1 million d’euros par l’Etat, environ 3 millions d’euros par les agences de l’eau, 2,5 millions d’euros par le Conseil général. La Chambre d’agriculture se contentera de faire appliquer la réglementation en vigueur avec des moyens financiers supplémentaires qui seront précisés dans une autre convention. Une certitude le prix de l’eau en Beauce, déjà supérieur à la moyenne nationale, continuera d’augmenter !

Cette situation est d’autant plus navrante que la plupart des beaucerons irriguent : en maîtrisant l’eau il ne devrait pas y avoir de percolation de nitrates et de pesticides dans la nappe de Beauce, la plus grande nappe phréatique d’Europe ! Sauf s’ils fixent des objectifs de rendement trop élevés : lorsque ces rendements ne sont atteints, c’est la nappe qui récupère l’excédent de la fertilisation azotée non utilisés par les céréales cultivées. Et la tentation est grande dans ces sols à forte potentialité de viser les 100 quintaux et plus ! Et cela fait plus de 50 ans que çà dure !

Il y a fort à parier que l’objectif de bon état de la nappe de Beauce ne sera pas atteint en 2027. Car c’est toute la nappe qui devra être en en bon état, pas seulement les points de captage qui servent à alimenter les Euréliens, mais aussi les captages que l’on aura fermés ! La France se verra alors infliger des pénalités, aujourd’hui payées par l’ensemble des contribuables français. Je doute qu’à l’avenir ces contribuables acceptent de payer l’eau plus chère et, en plus, les amendes de l’Union Européenne. Ils demanderont avec vigueur que les céréaliers pollueurs soient aussi les payeurs!

Ce ne sont pas les arrêtés préfectoraux actuels des programmes nitrates, ni la généralisation de la mise en place de cultures intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN) qui renverseront la tendance : au mieux ils stabiliseront la situation. Seul un engagement volontaire des céréaliers vers l’agriculture intégrée, qui prévoit la réduction simultanée de la fertilisation azotée et des pesticides, est susceptible d’inverser les tendances actuelles. Il aurait été préférable de consacrer les 5 millions d’euros à sécuriser le revenu des agriculteurs qui s’engageraient en agriculture intégrée. Cela couterait certainement moins cher car, souvent, les revenus agricoles sont identiques en agriculture intégrée : la baisse de rendement liée à la réduction des intrants est compensée par la baisse des charges, liées à l’utilisation moindre d’engrais azotés et de pesticides. Cela sera d’autant plus vrai à l’avenir, car ces intrants consomment beaucoup d’énergie, 3 à 5 fois plus que les carburants consommés par les tracteurs et moissonneuses batteuses. Et on s’achemine durablement vers un contexte d’énergie plus rare et plus chère.

Mais la résistance aux changements de pratiques agricoles est très forte en Beauce si l’on en juge par exemple par la proportion des surfaces bio et conventionnelles en céréales et oléoprotéagineux : elle est 6,7 fois plus élevée dans l’Yonne qu’en Eure et Loir. Ajoutons que dans l’Yonne toutes les coopératives agricoles du département permettent aujourd’hui la mise en marché de ces productions en bio, soit seules ou en partenariat avec la coopérative de céréales Biobourgogne qui vient de fêter son 30ème anniversaire !

La comparaison entre l’Yonne et l’Eure et Loir est intéressante car c’est bien aujourd’hui en zones de grandes cultures qu’il faudra consacrer les efforts pour réduire les pollutions diffuses. Un nouveau SDAGE : Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux, auquel je participe, verra le jour en 2014 : les défis à relever par le monde agricole pour atteindre le bon état de toutes les masses d’eau en France en 2027 sont énormes. Avec la nouvelle PAC, les régions disposent aujourd’hui de moyens renforcés, au niveau des Fonds européens agricoles pour le développement rural, qu’elles vont pouvoir mettre en synergie avec ceux aussi en augmentation des agences de l’eau pour accompagner la nécessaire mutation de l’agriculture. Une meilleure prise en compte de l’environnement et de la qualité de l’eau est, de plus, compatible avec des systèmes de production agricole plus économe et autonome en énergie et protéines : c’est le cas de l’agriculture intégrée et biologique. La loi d’Avenir agricole et ses mesures d’accompagnement : plan protéines, Groupement d’Intérêt Economique et Environnemental, agroforesterie, … offrent de réelles opportunités aux agriculteurs qui répondront aux appels d’offre, en présentant des projets collectifs de développement agricole en harmonie avec leur milieu (eau et biodiversité) qui est aussi leur territoire de vie.

 

 

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