Pour un droit universel à la formation tout au long de la vie – tribune avec Yanic Soubien – médiapart – 06 février 2014

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Alors que le projet de réforme de la formation professionnelle est en discussion au Parlement, les élus écologistes Patricia Andriot, Christophe Cavard, Jean Desessard, Jean-Philippe Magnen, Philippe Meirieu et Yanic Soubien rappellent la nécessité de mettre en place un droit universel à la formation tout au long de la vie, et de marquer « beaucoup plus clairement le renforcement de la compétence des régions ».

Le mercredi 22 janvier, Michel Sapin a présenté en Conseil des ministres le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Le débat parlementaire commence cette semaine et devrait aboutir fin février. Il sera décisif.

La formation tout au long de la vie concrétise la capacité qu’une société donne à chaque individu de remettre en jeu son projet professionnel, de se former librement à un métier, d’acquérir des connaissances nouvelles, bref de pouvoir décider d’évoluer à tout moment de sa vie, et tout cela dans un cadre sécurisé. Elle concerne évidemment, en priorité, ceux et celles qui n’ont pas pu bénéficier d’une formation initiale solide ainsi que ceux qui sont touchés par le chômage ou la précarisation de leur emploi. C’est pourquoi elle peut être un élément majeur d’une grande ambition de transformation sociale : en donnant à chacune et à chacun les moyens d’avoir prise sur sa propre histoire, en luttant contre les inégalités et les exclusions, en retissant le lien entre les générations, en s’inscrivant dans la perspective d’un vrai partage du travail, en accompagnant la nécessaire transition écologique de notre économie. Parce que toutes ces questions sont fondamentales pour l’individu et pour la société, l’enjeu autour de ce texte est majeur.

Le texte qui nous est proposé agrège la mise en œuvre de l’Accord national interprofessionnel de décembre sur la formation professionnelle continue, des dispositions concernant la démocratie sociale dans l’entreprise, une série de mesure sur la décentralisation prévues initialement dans le deuxième volet de la « loi de modernisation », des dispositions sur l’apprentissage (mais qui ne prévoient pas son financement) et un « cavalier » sur l’inspection du travail pour le moins problématique.

Devant le rassemblement de sujets aussi différents, et face aux enjeux sociétaux que porte la formation tout au long de la vie, force est de reconnaître que le texte, tel qu’il est présenté aujourd’hui, ne constitue, à nos yeux, qu’une première étape à laquelle plus de souffle doit être donné.

En ce qui concerne, plus particulièrement, la formation professionnelle continue, ce texte esquisse une évolution remarquée, mais ne marque pas « l’avancée décisive » attendue. C’est pourquoi les écologistes souhaitent que les parlementaires lui fassent opérer un saut qualitatif dans deux domaines au moins : d’une part, en œuvrant délibérément à la mise en place d’un « droit universel à la formation tout au long de la vie » ; d’autre part, en marquant beaucoup plus clairement le renforcement de la compétence des régions – qui constituent le bon échelon dans ce domaine – avec une réelle clarification de la gestion des moyens, afin de mettre vraiment en cohérence l’ensemble des politiques publiques en matière d’orientation, de formation et d’accès à l’emploi.

Le texte de loi qui nous est proposé est le fruit du dialogue social, et, à ce titre, il marque un changement de méthode à saluer. La principale « avancée » relevée par tous est le passage du droit individuel à la formation (DIF) au compte personnel de formation (CPF). La création du CPF était attendue depuis longtemps. C’est un progrès car, d’une part, il est attaché à la personne et, d’autre part, mobilisable sur la seule initiative de son bénéficiaire (en dehors du temps de travail), que l’on soit salarié ou demandeur d’emploi. On peut ainsi espérer que la formation devienne enfin plus accessible à ceux qui en ont le plus besoin : salariés les moins diplômés, demandeurs d’emploi, seniors, jeunes sans qualification, travailleurs temporaires et à temps partiel, artisans, etc. Mais, quantitativement, l’augmentation est trop modeste – on passe de 120 heures sur 6 ans, avec l’ancien DIF, à 150 heures sur 9 ans – et ce crédit ne suffira pas pour acquérir une qualification complète. S’il peut permettre à des salariés d’effectuer une « formation complémentaire » ou une « mise à niveau », il est  encore très loin de permettre à des personnes éloignées de l’emploi de repartir sur de nouvelles bases. C’est pourquoi il faut absolument rendre possible l’augmentation de ce plafond, par accord avec les branches professionnelles, et permettre d’en compléter le financement par l’apport d’organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ou des collectivités territoriales. Mais encore faudrait-il que les régions, qui sont en charge des demandeurs d’emploi, voient leurs moyens augmenter : actuellement, elles peinent à proposer une formation à deux chômeurs sur dix. Et, si rien ne change dans ce domaine, les demandeurs d’emploi resteront les plus défavorisés, bénéficiant des formations existantes sans amélioration particulière de leur sort. L’enjeu est majeur : le signal donné par ce texte en faveur des demandeurs d’emplois doit être beaucoup plus clair. Notre pays ne peut pas se contenter de proclamer, la main sur le cœur, qu’ « il vaut mieux se former que chômer », si rien ne montre concrètement que les demandeurs d’emploi bénéficient fortement de la solidarité nationale.

Tel qu’il est présenté aujourd’hui, le compte personnel de formation indique donc modestement le chemin, mais sans aller assez loin dans le sens d’un droit universel à la formation tout au long de la vie. Il risque, de fait, d’être très insuffisant pour lutter contre les inégalités et est bien loin des propositions écologistes d’un “droit universel à la formation tout au long de la vie” : un droit qui aurait le double mérite d’activer les solidarités intergénérationnelles et de permettre le partage du temps de travail, un élément fondamental pour lutter contre le chômage.

Une autre ambition majeure du texte est de clarifier les modalités de la responsabilité de la formation tout au long de la vie. Partisans résolus de la décentralisation pour mettre les politiques publiques au plus près des citoyens et des territoires, les écologistes regrettent vivement qu’on n’aille pas jusqu’au bout de cette logique et que, notamment, la question du financement,  évidemment essentielle, ne soit pas totalement clarifiée. En d’autres termes, le transfert aux régions de nouvelles compétences risque de ne pas être accompagné du transfert des moyens nécessaires. De plus, le texte reste également au milieu du gué en matière de gouvernance de la formation des demandeurs d’emploi : les régions en sont chargées, mais d’autres organismes – non décentralisés, comme Pôle Emploi – y interviennent aussi avec des prérogatives similaires, au risque d’incohérences et d’un pilotage tâtonnant. Les années de décentralisation qui nous précèdent ont pourtant montré que les régions savent travailler avec l’Etat et les partenaires sociaux. Soyons clairs : les régions ne réclament pas du pouvoir et nous n’en réclamons pas pour elles ; mais nous réclamons qu’on donne à l’instance régionale les moyens d’une politique cohérente. Aujourd’hui, on accroît leurs charges, mais sans accroître ni leurs moyens financiers ni leurs moyens d’intervention : voilà qui permettra, très vite, de trouver le bouc émissaire si le « miracle » n’est pas au rendez-vous !

Nous sommes convaincus que la région est le bon échelon pour traiter – en même temps, avec tous les acteurs concernés et au plus près des territoires – des questions d’orientation, de formation, d’insertion et d’emploi. Nous sommes convaincus que la formation est un outil essentiel de promotion des personnes et de construction du lien social. Nous sommes convaincus que, parce qu’elle parie sur l’infinie richesse des hommes et des femmes, elle peut nous permettre de faire face à la crise écologique que nous devons affronter lucidement. Nous sommes convaincus que la formation est au cœur d’un nouveau modèle de développement, plus juste, plus humain, plus économe en énergie… et que nous ne devons pas nous contenter, ici, d’un toilettage, mais offrir à la France la vision d’avenir dont elle a terriblement besoin.

Patricia Andriot, vice-présidente EELV du conseil régional de Champagne-Ardennes
Christophe Cavard, député EELV du Gard
Jean Desessard, sénateur EELV de Paris
Jean-Philippe Magnen, vice-président EELV du conseil régional des Pays de la Loire
Philippe Meirieu, vice-président EELV du conseil régional de Rhône-Alpes
Yanic Soubien, vice-président EELV du conseil régional de Basse-Normandie

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