Intervention relative au renouvellement du contrat de partenariat avec ARKEMA

Par Martine Alcorta – Intervention en séance plénière du 15 décembre 2014.

Nous délibérons à propos d’un partenariat avec Arkema. Arkema est un grand groupe industriel, pionnier dans la course aux nanomatériaux au niveau mondial.

Savez-vous ce que sont les nanomatériaux ? Commençons, par ce que représente la dimension « nano ». Il y a autant de différences, entre une orange et la terre, qu’entre une orange et une nano-particule, autant dire que, nous si nous en croisons, nous ne les verrons pas. C’est bien là tout le problème Mais si le monde de l’invisible, que nous sommes en train de créer, échappe au contrôle de notre vision naturelle, alors faisons en sorte qu’il ne reste pas aussi dans l’indicible, parlons-en et informons-nous!

S’informer mais comment ? Quand des avancées technologiques promettent aux grandes firmes de devenir plus compétitives, on se doute qu’elles ne vont pas être étalées sur la place publique. Les paroles de ce lobbyste dans les couloirs de Bruxelles donnent le ton « Tout ce que vous donnez à la prévention, vous l’enlevez à la compétitivité de l’Europe ».

S’il est question de prévention dans ses propos, c’est qu’il existe de fortes présomptions sur les effets nocifs de ces particules, que ce soit sur l’environnement ou sur les êtres humains.

Évidemment qui dit « présomptions » ne dit pas « certitudes ». Mais il existe selon des sources légitimes et objectives comme l’ANSES, Agence Nationale de la Sécurité Environnementale et Sanitaire, de fortes présomptions à penser que la mise sur le marché de produits nano-structurés pourraient entrainer dans quelques années des problèmes environnementaux et sanitaires, identiques voire plus importants, que ceux provoqués aujourd’hui par l’amiante.

Dans son dernier rapport en 2014, l’ANSES conclut, je cite, « « Il existe actuellement suffisamment de données scientifiques pour pointer les risques de certains nanomatériaux, dans dix ans il sera trop tard pour se poser la question de leur encadrement ».

D’où viennent ces données ? De quelles recherches ? Qui les mène ? Avec quel argent ? Peu de financements publics pour la recherche sur les risques, moins de 3% des budgets publics européens consacrés à la nano-toxicologie, ce qui signifie au passage que 97% sont consacrés au développement des produits et la structuration des filières mais nous y reviendrons.

Car se pose, avant le soutien à la production, la question du financement de la recherche toxicologique. Est-ce aux pouvoirs publics de financer la recherche sur la toxicologie des produits dont la commercialisation profitera aux entreprises privées ? D’un autre côté, comment faire appliquer le principe Pollueur-Payeur en toute indépendance si c’est l’intéressé qui pollue et qui finance la recherche ? Ne serait-ce pas justement le rôle des pouvoirs publics, que de garantir cette indépendance quand il y a présomption d’un problème sanitaire de grande ampleur ? Le joue-t-elle ? Non, ni au niveau national ni au niveau régional, et c’est un des premiers regrets que nous exprimerons.

Car bien entendu, selon qui finance la recherche, l’objectif n’est pas le même. Les firmes privées ont inventé le concept « safe by design » entendez par là « la sécurité par la conception » qui est très différent de la recherche « cas par cas » que j’évoquerai aussi.

Cette approche de la culture industrielle vise à minimiser les risques des nanomatériaux dès la conception des produits, en modifiant leur taille ou leur structure, par exemple pour éviter le passage des nanoparticules dans la peau pour les crèmes solaires ou bien en encapsulant les nanoparticules, afin de minimiser leur toxicité potentielle pendant tout le cycle de vie du nano-produit. Minimiser le risque, au passage, signifie bien que l’on reconnait le risque.

 

Et la méthode « cas par cas » alors ça se passe comment ? Prenons donc un exemple, celui du programme Genesis qui nous est rappelé dans la délibération. C’est un programme qui date de 2013 et visait à la mise en place d’une filière industrielle de nanotubes avec pour chef de file Arkema et pour lequel des laboratoires aquitains ont été impliqués.

Ce programme a obtenu des financements publics de la part d’OSEO mais ces financements publics étaient conditionnés à une évaluation des risques sanitaires liés aux nanotubes au fur et à mesure de leur développement. C’est cela la méthode « cas par cas », quand un industriel développe un produit, on lui demande de l’accompagner d’une recherche sur les risques de ce produit. Pour le programme Genesis dont Arkema je le rappelle était chef de file, cette méthode si elle avait été respectée aurait pu changer notre position par rapport à Arkema. Seulement voilà, cet engagement n’a pas été respecté, je cite le rapport de l’ANSES à ce sujet: «  …Arkema n’est pas en mesure de démontrer sa capacité à évaluer les risques sanitaires liés aux nanotubes, par manque d’informations sur son potentiel toxique et l’absence d’éléments relatifs aux scénarii d’exposition et cycle de vie du matériau…en dépit des demandes réitérées aux groupes d’experts au cours des deux précédentes étapes… par l’ANSES».

On peut se poser des questions sur l’attitude d’ARKEMA et regretter l’engagement non tenu, voire exiger des sanctions, mais le principe posé par OSEO est le bon : tout financement public pour le développement de filières nano devrait être conditionné à une recherche sur la toxicologie du produit développé, avec des sanctions en cas de non respect comme le non renouvellement de partenariat public. C’est ce que nous proposons.

Car ce qui n’est pas normal, c’est qu’en donnant, comme la France et l’Europe des milliards ou comme la Région des millions, sans exiger de contre-partie sur les risques, on creuse le fossé entre le développement des produits, leur mise sur le marché et les recherches qui évaluent leur toxicité. Ceci n’est pas acceptable. Comme il n’est pas acceptable de renouveler notre confiance à une firme qui s’est ainsi comportée avec l’argent public.

Quant au cœur du problème, celui de l’économie classique, qui fait de l’innovation technologique, le seul moteur de la compétitivité des entreprises et des créations d’emplois, les aides publiques ne devraient-elles pas tenir compte de l’utilité sociale et sociétale des productions. Car les innovations nano sont parfois bien futiles : yaourts plus blancs que blancs, chaussettes anti-transpiration, tee-shirts autonettoyants….

Des pouvoirs publics responsables devraient s’interdire de mettre un centime pour soutenir le développement de ces produits, dont les bénéfices sociaux et sociétaux futiles, n’ont aucune commune mesure avec les risques, que le cycle de vie de ces objets fait courir à l’environnement et aux populations.

On peut toutefois différencier cette attitude quand il s’agit de la recherche médicale. Quant à l’innovation pour la compétitivité, pour des produits moins futiles, c’est un conditionnement à la recherche du risque « au cas par cas » comme le programme « Genesis » le proposait. Mais il faut être très rigoureux avec le non respect des engagements sinon ce type de recherches sera vidé de son sens. Arkema n’ayant pas respecté son engagement, il faut une sanction des pouvoirs publics, nous la demandons en refusant de lui renouveler notre soutien.

Oui mais l’emploi me direz-vous ? L’emploi oui mais à quel prix ? A quel prix environnemental et sanitaire ? Il est vrai qu’il faut souvent entre 15 ou 20 ans pour qu’une longue maladie se déclenche après exposition. Si ces productions sont aujourd’hui rentables, comme l’était l’amiante à une époque, c’est parce que l’économie classique ne tient pas compte dans le calcul de ses coûts, des externalités négatives, des coûts sanitaires et environnementaux différés. Mais est-ce ainsi que doivent calculer des politiques publiques ? Qui aujourd’hui indemnise les victimes de l’amiante ou des essais nucléaires et qui demain indemnisera les victimes des pesticides et des nanoparticules ? Qui supporte le coût des maladies ? C’est bien parce que l’entreprise et la collectivité publique ne supportent pas les mêmes coûts qu’il leur faut calculer et raisonner différemment.

Le Conseil régional, dont l’économie est la compétence phare, a besoin sur ces sujets qui engagent l’avenir et donc la société, d’une instance qui à ses côtés lui permettrait d’éclairer ses choix. Nous proposons donc la constitution d’une « Nano-veille » aquitaine ou interrégionale, qui aurait une double mission : celle de faire vivre en Aquitaine et d’autres régions, une réflexion citoyenne sur le sujet, en croisant les points de vue de différentes expertises, scientifiques, économiques et citoyennes, et une mission plus spécifique pour éclairer nos propres dossiers économiques sur le sujet.

Cela permettrait qu’aujourd’hui les élu-es votent en pleine conscience éclairée de ce que leurs votes pourront avoir comme conséquences sur les générations à venir. Pour que personne ne puisse dans 20 ans dire « je ne savais pas ».

Je vous remercie.

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