Intervention relative au centre international de l’art pariétal de Montignac – Lascaux

Par Bérénice Delpeyrat-Vincent – Intervention en séance plénière du 21 octobre 2013.

Chères collègues, chers collègues,

Celles et ceux qui ont laissé leurs traces dans les grottes de Lascaux, nous ont fait don d’un cadeau immense. Nous, c’est à dire nous tous, humains, le classement de  l’UNESCO en est le signe et nous, ici, plus particulièrement. Ce cadeau nous donne une immense responsabilité, outre celle de préserver par une réelle et totale sanctuarisation du site celle de donner à partager.

L’enjeu du partage culturel, n’est pas propre à Lascaux ; il est celui de tous les sites touristiques, de Venise à la Méditerranée, des îles Galapagos au Kilimandjaro. Il est  aussi celui des musées.
L’accès aux œuvres, le partage culturel  est une nécessité, au sens le plus fort du terme : l’essentiel. Je ne pense pas avoir besoin ici de développer à quel point les regards que l’humanité croise autour des merveilles naturelles ou des œuvres humaines  est à la source d’un monde en paix. Lascaux 3 et son itinérance sont, de ce point de vue, une belle réussite.

Partager Lascaux est un impératif, celui de la démocratisation culturelle.

Partager Lascaux est aussi une chance.

La présence de cette richesse sur notre territoire a permis et largement contribué à ce que nous accueillions, sur le site, dans la vallée, les vallées, de nombreux visiteurs. Le tourisme (au sens large) permet à 3 millions de visiteurs de découvrir et savourer notre territoire. La  beauté de la vallée elle-même, ciselée et maintenue par le travail des paysans au fil des siècles, la rivière,  les nombreuses activités de plein air, la gastronomie et l’agriculture locale, les châteaux, les villages, les festivités locales, tout cela contribue, en synergie, à son attrait  et cela nourrit d’autres échanges.

Partager Lascaux, est donc du point de vue culturel et économique, une évidence.
Mais d’autres impératifs  s’imposent aujourd’hui.

– L’enjeu climatique et environnemental nous impose d’anticiper les impacts globaux et locaux de fréquentations touristiques.

Si l’impact économique est espéré, attendu, voire chiffré, l’impact écologique est-il globalement suffisamment mesuré ?
Par exemple, quel moyen d’accès à la vallée, aux vallées, qui ne charge pas la barque du changement climatique ? (même si des omnibus électriques  sont envisagé ni situ). Là aussi, si nous ne souhaitons pas que cela se fasse très majoritairement en voiture individuelles (comme aujourd’hui) aux impacts nombreux, il faudrait, en parallèle, investir (et pas dans le transport aérien, lui aussi très impactant).
Le développement du tourisme ne peut être que celui d’un tourisme largement décarboné. Sauf à oublier déjà ce qui est écrit dans le rapport Le Treut et dit en début de plénière.

– Par ailleurs, l’assèchement des finances publiques, et son impact sur les collectivités locales, dont le département, nous obligent à une vision ambitieuse certes, mais mesurée, raisonnable, en un mot, réellement durable.

Le dossier Lascaux annonce des chiffres qui dans le détail soulèvent quelques interrogations.  4 millions de visiteurs, c est 1/3 de touristes en plus par rapport aux 3 millions aujourd’hui  et on en attend 400.000 à Lascaux 4, contre 250.000 aujourd’hui, soit 2/3 de plus. Même avec un  intérêt pour Lascaux 4 plus grand que celui pour Lascaux 2, les chiffres sont assez fantaisistes.

Un million de visiteurs en plus ? Comment  sera-t-il répondu  et sur quel calendrier ? Avec quels investissements, non chiffrés, non programmés  ? La capacité d’accueil est à ce jour majoritairement adaptée  à un accueil d’été et l’hôtellerie de plein air fait quasiment le plein. Même si l’élargissement de la saison de fréquentation peut, avec de nouveaux publics, mais pas sans nouveaux équipements qui auront eux aussi un coût, être améliorée.

Est-ce bien raisonnable de donner de tels chiffres ou sont-ils présentés pour mieux faire passer le montant  important de l investissement ? (Certains cabinets sont des habitués de cette pratique)

Le territoire peut-il, sans dommage pour les autres activités et les équilibres nécessaires, faire face ? L étalement de la saison de mai à septembre serait une première réponse, mais elle ne se décrète pas,  dès lors que déjà on remarque un fléchissement, et en période de crise, et sans une articulation avec d’autres sites, comme celui de la grotte Chauvet, qui avec un budget similaire va ouvrir sous peu. Là aussi la concurrence,  si elle peut dynamiser les projets, a aussi des effets délétères entre territoires. Mais celui-ci aura de toute évidence bien raisonnée, une limite et elle n’est pas seulement la capacité d’accueil et d’absorption du territoire, mais aussi l’équilibre territorial entre les ressources et les activités.

Le développement touristique aura, de toute évidence bien raisonnée, une limite . Celle-ci ne repose pas seulement sur la capacité d’accueil et d’absorption du territoire, elle doit prendre en compte l’équilibre territorial entre les ressources et les activités. Avec 22% de contribution à la richesse locale, le tourisme est un bon contributeur, mais l’avenir ne peut pas se jouer sur une mono activité touristique. Ce que recherchent les visiteurs du Périgord est aussi lié à une qualité de vie qui, si le tourisme y contribue par ses retombées économiques, est majoritairement dû à des activités non saisonnières (sauf à vouloir transformer le Périgord en une sorte de réserve d’Indiens, à fréquentation estivale, un parc d’attraction, fut-il culturel).

Tous les sites touristiques sont confrontés à cette équation, à la mesure des différents impacts positifs et négatifs  et au nécessaire équilibre entre toutes les activités du territoire. C’est bien à la puissance publique d’être le garant de cet équilibre (et de plus nous ne voudrions pas que Lascaux et son image finissent un jour dans le porte-feuille d’EuroDisney  et consorts).

Le tourisme dans la vallée de la Vezère est une chance, culturellement, économiquement, pas une croyance dans la poule aux œufs d’or, surtout si celle-ci a déjà souffert d’être plumée.

Nous sommes aussi ambitieux que vous pour notre territoire mais la prudence, faute de clarté et de garanties plus précises sur les impacts en terme d’aménagement de la vallée, d’équilibre, de programmation, de finances et d’environnement, veut que nous nous abstenions aujourd’hui  sur cette délibération.

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