10 millions de dollars par minute. C’est la somme consacrée par les Etats du monde entier à soutenir les entreprises extractrices d’énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Le chiffre est astronomique : chaque année, cela revient à 5 300 milliards de dollars (4 740 milliards d’euros). C’est plus que le total des dépenses liées à la santé dans le monde.

L’estimation vient du Fonds monétaire international (FMI) qui a publié une étude sur le sujet en mai dernier. Ses experts ont disséqué les soutiens aux énergies fossiles au sens large. Ils ont pris en compte les subventions directes aux combustibles fossiles (pétrole, gaz, charbon), déployées sous la forme de réductions gouvernementales sur le diesel et autres carburants, mais aussi les externalités négatives liées à l’usage de ces énergies. Et ce sont elles qui pèsent le plus lourd dans la balance.

Externalités liées aux énergies fossiles : 88 % du total

Réchauffement climatique, pollution de l’air, embouteillages, accidents, détérioration des routes… Ces impacts sont sources de dépenses et sont supportés en grande partie par les gouvernements. Ainsi, selon les calculs du FMI, la moitié des 5 300 milliards de dollars est destinée à traiter les victimes de la pollution atmosphérique et à compenser la perte de revenus causée par une santé fragile ou une mort prématurée. Résultat : alors que les subventions directes ne représentent "que" 333 milliards de dollars chaque année, les coûts indirects s’élèvent eux à 4 655 milliards de dollars chaque année, soit 88 % du montant total.

L’organisation avait déjà fait le calcul pour l’année 2011. Les subventions aux énergies fossiles représentaient alors 4 151 milliards de dollars, un peu plus d’un milliard de moins qu’en 2015. Elles ont été réévaluées grâce à de nouvelles données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a depuis démontré l’étendue des dommages causés justement par la pollution de l’air, jusqu’alors sous-estimée. De son côté, l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économique, avait évalué, en mai 2014, à 3 500 milliards de dollars le coût sanitaire annuel des pollutions atmosphériques rien que pour la quarantaine de pays les plus riches.

Par ailleurs, le charbon est le combustible dont la facture est la plus salée. Et pour cause : c’est l’énergie la plus polluante, à la fois en termes de pollution atmosphérique et d’émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, il capte 60 % des subventions totales, contre 30 % pour le pétrole et 10 % pour le gaz.

La Chine, les Etats-Unis et la Russie contribuent à 50 %

Si l’on regarde les chiffres pays par pays, on s’aperçoit que ce sont les pays riches et les grandes économies émergentes qui soutiennent le plus les énergies fossiles. Ainsi la Chine arrive en tête, avec 2 272 milliards de dollars dépensés pour soutenir les fossiles. En cause, sa population qui dépasse le milliard d’habitants et sa dépendance très forte vis-à-vis des centrales électriques au charbon. Viennent ensuite les Etats-Unis (700 milliards de dollars), la Russie (335 milliards de dollars), l’Inde (277 milliards de dollars) et le Japon (157 milliards de dollars). Les pays de l’Union européenne dépensent quant à eux 330 milliards de dollars. La France, 30 milliards.

Un constat corroboré par l’OCDE, qui a elle aussi publié fin septembre, un inventaire des subventions aux fossiles. Les experts de l’OCDE ont recensé près de 800 programmes de dépenses et allègements fiscaux (subventions directes) mis en œuvre dans les 34 pays membres de l’organisation et dans six pays émergents du G20 – le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Russie et l’Afrique du Sud.

Leur coût ? Entre 160 et 200 milliards de dollars par an (142 à 178 milliards d'euros), pour la période 2010-2014. Un montant éloigné de celui du FMI car il ne prend pas en compte les externalités mais uniquement les mesures prises pour soutenir la production et la consommation d’énergies fossiles à travers des réductions sur les prix ou sur les coûts d’exploration et d’exploitation par les compagnies pétrolières, gazières et minières. Des aides adoptées pour la plupart avant 2000 pour soutenir des secteurs en difficulté mais qui n’ont pas été réévaluées depuis et qui grèvent les finances publiques et entravent les efforts mondiaux pour réduire les émissions et lutter contre le changement climatique.

Une réduction des émissions de CO2 de 20 %

"En montrant l’ampleur des coûts réels des énergies fossiles, la croyance selon laquelle elles sont peu chères vole en éclats. Il n’y a aucune justification possible pour ces subventions faramineuses aux combustibles fossiles, elles faussent les marchés et affaiblissent les économies, surtout dans les pays les plus pauvres", a réagi Nicholas Stern, économiste climatique à la London School of Economics, dans un entretien au Guardian.

Ces subventions faussent en effet la concurrence avec les énergies renouvelables qui de fait deviendraient plus séduisantes si le prix réel des fossiles était pris en compte. Par ailleurs, mettre fin aux subventions aux énergies fossiles aurait d’autres avantages pour les Etats : de nouvelles rentrées fiscales (2,9 milliards de dollars), une réduction des dépenses de protection sociale (1,8 milliard de dollars), une division par deux du nombre de morts prématurées liées à la pollution. Et une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 20 % selon les estimations du FMI.

La COP21, où un accord international pour le climat est attendu dans quelques semaines, offre aussi un moment propice pour réformer ce système estiment les institutions internationales. "Les États dépensent, pour soutenir les combustibles fossiles, quasiment le double du montant nécessaire pour atteindre les objectifs de financement de la lutte contre le changement climatique définis par la communauté internationale, qui appelle à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. L’heure est venue, pour les pays, de démontrer qu’ils prennent au sérieux la lutte contre le changement climatique, et la réforme des mesures dommageables de soutien aux combustibles fossiles est un bon départ", alerte Angel Gurría, le Secrétaire général de l’OCDE.

Avec leurs rapports respectifs, le FMI et l’OCDE exhortent donc les gouvernements à mettre fin aux subventions aux énergies fossiles. D’autant que "la chute des prix de l'énergie au niveau international offre une fenêtre d'opportunité pour les pays. Ils pourraient en profiter pour supprimer les subventions et augmenter les taxes sur l'énergie sans trop mécontenter la population du fait des prix bas", souligne le FMI.

Une douzaine de pays pionniers

Le sujet fait figure de serpent de mer. Dès 2009, les pays du G20 avaient appelé à l’abandon des subventions aux énergies fossiles. Un vœu reformulé en avril dernier par le président de la Banque Mondiale, Jim Yong Kim.

Mais ces derniers temps, les choses bougent. Principalement dans les pays émergents, note l’OCDE. Le Mexique par exemple a supprimé son système d’aides variables aux carburants, économisant 16 milliards de dollars entre 2012 et 2014. Une douzaine d’autres pays dans le monde ont fait de même. En Inde, les subventions au diesel ont été supprimées l’année dernière avec à la clé une économie de 10 milliards de dollars. Et l’Indonésie a drastiquement réduit ses aides au gazole et à l’essence, gagnant ainsi 14 milliards de dollars entre 2014 et 2015. Au total ce sont 40 milliards de dollars qui ont été économisés par ces trois pays.

La Fondation Nicolas Hulot appelle la France et les autres pays de l’OCDE à prendre exemple sur ces trois pays et à accélérer la réduction des subventions aux énergies fossiles. "En France, le projet de loi de Finances 2016 doit acter la montée en puissance jusqu’en 2020 de la Contribution climat énergie, dont le rapport OCDE montre l’impact positif ; et réduire progressivement certaines subventions néfastes : kérosène détaxé, avantage fiscal du gazole pour les particuliers et les transporteurs routiers..."

Après des mois d’atermoiements, le gouvernement a confirmé l’arrêt des soutiens au charbon à l’export début septembre, et a annoncé, le 15 octobre dernier, l’alignement d’ici cinq ans du prix du gazole sur celui de l’essence.