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En débat
AGRO-ALIMENTAIRE : écolo-compatible ?
Par Sarah Feuillette

15 décembre 2009

Permettez moi tout d’abord de replacer les questions qui vont suivre dans leur contexte. Nous procédons à une étude assez large sur les enjeux de l’agroalimentaire, tant du point de vue des entreprises du secteur, que des autres acteurs influents (consommateur, société civile, organismes internationaux..). Les questions de développement durable et l’émergence du concept de "citoyen éco-responsable" nous semblent importants à aborder. C’est donc tout naturellement que nous avons choisi de faire appel à votre expérience pour tenter d’illustrer nos propos.

Permettez moi maintenant de vous poser quelques questions :

DELCROS Gwendal

Comment les entreprises de l’agroalimentaire répondent à la question du développement durable ? Jouent-elles le jeu au-delà d’une simple stratégie de communication ou se sentent-elles « au dessus des lois » dans la mesure où ce secteur est considéré comme stratégique, et donc « intouchable » pour de nombreux pays ?

On ne peut pas mettre toutes les entreprises de l’agro-alimentaire dans le même sac. J’en distinguerais trois types par rapport à la question : les petites entreprises artisanales, les entreprises industrielles liées à des filières déjà reconnues pour leur engagement en matière de développement durable (notamment le bio) et les autres entreprises industrielles. Il semble que la question porte plutôt sur les grandes entreprises, excluant donc les entreprises artisanales. Pourtant, si certaines sont plus propices à répondre à la question du DD, ce sont notamment celles-ci à mon sens : à taille humaine, plus souvent responsabilisantes pour l’ensemble de leur personnel, permettant le maintien d’emplois locaux, d’un tissu économique local, et probablement plus souvent liées à des marchés locaux, leurs marges de progrès en termes de DD me semblent se situer en moyenne du côté de l’environnement, sauf pour celles qui sont sur des filières porteuses d’environnement comme le bio.

Pour les grandes entreprises liées à des filières de production agro-écologique (bio, labels ayant des composantes environnementales), je pense qu’elles répondent partiellement à la question du DD, en termes d’environnement, mais ont le défaut, en termes de DD, de jouer sur des filières longues, donc coûteuses en énergie. Par ailleurs, le pilier social risque fort d’être peu respecté, d’une part avec des possibilités de délocalisations, de plans sociaux, pour faire plus de profit, d’autre part du fait de rapports très exigeants et très tendus (en termes de qualité et de délais) et inéquitables sur le plan économiques avec les agriculteurs , ce qui complique encore le travail de ceux-ci.

Quant aux grandes entreprises non liées à une production durable, elles se sentent probablement protégées par l’importance en France du poids positif de l’agro-alimentaire dans la balance commerciale, et font essentiellement de la communication alors qu’elles représentent des systèmes à notre sens non durables pour la société. Certes les standards sanitaires y sont respectés, mais globalement c’est un secteur qui encourage une alimentation excessivement carnée, excessivement salée et excessivement sucrée (sans parler des conservateurs et autres additifs), donc qui a un impact sanitaire globalement très mauvais sur la population et sur le trou de la sécurité sociale (maladies cardio-vasculaire, montée de l’obésité, diabète...). La multiplication de la restauration hors-foyer et des plats cuisinés (susceptibles d’être présentée comme relevant de la "croissance verte" !) est antinomique du développement durable dans son acception complète. Il en va de même pour le "privilège" de l’accès aux produits transformés par rapport à l’accès à des denrées alimentaires de base en circuits courts , comme les végétaux de quatrième et cinquième gamme (sous vide, épluchés, semi-préparés, etc..), les céréales précuites ou "petits déjeuners", ou tous les accessoires inutiles censés "faciliter la vie". Sans parler des aliments pseudo-améliorés comme les laits de croissance, les allégations fallacieuses etc...présentés comme des progrès pour la société alors qu’ils ne sont qu’un moyen d’appâter le consommateur pour créer de nouveaux profits.

Les entreprises d’élevage industriel hors sol sont également l’antithèse du développement durable, pour les raisons sanitaires déjà évoquées, pour leur participation importante à l’émission de GES (y compris la déforestation pour nourrir les animaux...),pour les flux de transport énormes, pour le gaspillage, pour les conditions souvent barbares dans lesquelles les animaux sont traités qui sont également celles dans lesquelles les salariés travaillent.

Au-delà de ces aspects qui montrent que ces entreprises ne jouent pas en faveur du développement durable, le mode de production industrialisé condamne l’ensemble de la filière de porduction à une orientation non durable. Par exemple la panification industrielle s’accompagne d’un raccourcissement et d’une simplification de l’ensemencement et du pétrissage des pâtes. Du coup, pour cette industrie, les blés de qualité sont à fort taux de protéines qui favorisent ces pratiques. Ce qui fait qu’on sélectionne et on oriente la production dans ce sens et on en vient à confondre la qualité des blés avec leur taux de protéines, à hiérarchiser les variétés sur cette base, à rejeter les semences paysannes sur de soit-disant critères de qualité etc.. alors que ces semences donneraient sûrement des plantes mieux adaptées localement, plus résilientes par rapport aux changement climatique, plus résistantes aux maladies. Les processus industriels agro-alimentaires doivent donc être totalement repensés s’il y a une prétention réelle au développement durable

Globalement, on voit que les questions cruciales qui se posent de plus en plus sont : comment nourrir l’humanité demain en maintenant un environnement résilient, riche, divers, en protégeant au maximum des ressources naturelles qui vont aller en se raréfiant du fait même de la démographie galopante ? De plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer le gaspillage dans l’agroalimentaire, estimé de 30 à 60%. Il semble que ce gaspillage est notamment dû à la forte concentration des unités de production et de distribution, au nombre d’intermédiaires, à la longueur des flux d’échanges. Réduire le gaspillage, qui devrait être un objectif majeur de développement durable dans l’agroalimentaire oblige à repenser les filières, à diminuer la taille des unités de production et de distribution, à diminuer les flux de transport, à consommer plus de "local". Dans ce sens les entreprises artisanales me semblent globalement mieux loties que les autres. D’autre part, on sait qu’aujourd’hui en moyenne les aliments nécessitent 10 fois plus d’énergie pour arriver dans nos assiettes qu’ils ne nous en apportent, ce qui est une hérésie notamment due au fait que l’agriculture est hautement consommatrice d’intrants, mais également due au transport, à la transformation, à l’emballage, à la distribution de produits hors saison...

Cela n’est évidemment pas durable du tout dans une civilisation qui doit faire attention à l’émission de ses gaz à effet de serre et qui verra bientôt se vider ses derniers puits de pétrole !

Que pensez-vous de la question de l’émergence du consommateur comme nouvel acteur ? On parle depuis quelques temps du concept de « consommacteur », est-ce selon vous un poids suffisamment puissant pour contrebalancer les stratégies des entreprises en les orientant vers une alimentation plus responsable ?

L’émergence des consommacteurs est indéniablement une bonne chose, une vraie force qui fait probablement frémir le secteur. L’agro-alimentaire y prête de plus en plus d’attention, car on parle de plus en plus de pesticides, de consommation locale, d’AMAP, et en effet les consommateurs citoyens sont de plus en plus nombreux à faire attention à ce qu’ils achètent (augmentation de 25% de la consommation du bio en 2008, et +10%/an les années précédentes), même si c’est plus cher. Probablement d’abord pour leur santé, et ensuite pour des raison de conviction (Claude Levi Strauss disait : ce qui est bon à manger doit être bon à penser). Cependant il semble que ces comportements de citoyens responsables ne sont pas encore suffisants pour véritablement bouleverser la stratégie des entreprises dans un sens plus durable : elles y répondent plutôt par des stratégies de communication (cf les affiches de publicité pour un jambon "nature" alors qu’il n’a pas grand chose de plus que les autres, ou des emballages qui bizarrement sont de plus en plus verts dans les rayons des supermarchés...).

Les Verts furent historiquement les premiers à soulever la question d’une gestion plus responsable de l’environnement et des activités humaines. Aujourd’hui, cette thématique est d’ailleurs reprise par d’autres partis traditionnellement majoritaires. Votre statut de leader historique dans ces questions vous donne t-il un rôle dans les processus législatifs (Grenelle de l’environnement, normes alimentaires au Codex Alimentarius de la FAO, OMC, OMS ) ?

Merci de reconnaître que nous sommes les premiers à avoir compris l’intérêt d’une gestion responsable sur le plan de l’environnement et des activités humaines. Cette thématique semble être reprise par les partis traditionnels mais cela ne va bien souvent pas loin au-delà de la communication pour récupérer des votes de citoyens sensibilisés au problème. Notre conviction est qu’il faut des changements profonds des modes de production, de distribution, de fonctionnement, des flux commerciaux, et non pas des changements en surface. Il ne semble pas que notre statut de leader historique nous donne un rôle particulier dans les processus législatifs, en tous les cas pas suffisamment, mais peut-être de plus en plus. Il y a deux aspects : le nombre de personnes au pouvoir, et la reconnaissance politique. Tant que nous ne serons pas plus nombreux au pouvoir il sera difficile de participer plus à des processus qui jouent pourtant sur des thèmes bien maîtrisés chez les Verts. Et tant qu’on ne nous reconnaîtra pas cette légitimité (ce qui est le cas puisque tous les partis se peignent en vert et se prétendent défenseurs de l’environnement), on ne nous associera pas préférentiellement à ces processus. Cela dit, quelques Verts ont été associés aux COMOP du Grenelle... tout comme l’ont été des associations et ONG. Mais le Grenelle va-t-il véritablement faire bouger les choses ?

On ne peut pas dire, en termes de participation aux grandes institutions, que les Verts soient les premiers associés ; la nomination de Luc Guyau au conseil de la FAO en est un récent contre exemple...

Vous mettez en avant un retour à une politique plus saine et plus responsable de consommation. Quelle est la réaction des entreprises agroalimentaires à votre égard ? Ceci n’allant pas forcément dans leur intérêt à court terme, ont-elles des stratégies d’influence sur vous, via des lobbies ?

Pas que je sache.

Enfin, quelles recommandations et conseils pourriez-vous donner pour accompagner les grandes entreprises de l’agroalimentaire dans un processus d’écocitoyenneté ?

1)que les entreprises cessent de grossir et adoptent plutôt une posture au minimum de déconcentration, de relocalisation et de respect de la diversité et des structures petites et artisanales et si possible coopératives, au mieux de réorientation profonde (ce qui est très peu vraisemblable)

2)qu’elles cessent de mettre de l’argent dans la communication et dans la publicité en particulier, pour en mettre dans de véritables stratégies de développement durable : production agro-écologique et socialement équitable, transformation durable et responsable, distribution dans de petites unités qui ne concentrent pas toute la marge comme c’est le cas actuellement

3)en particulier abandon progressif des grandes unités d’élevage industriel hors sol qui sont des usines à virus, qui soumettent les animaux à des conditions de vie et les salariés à des conditions de travail intolérables où le seul objectif est le chiffre, qui produisent trop de GES et participent à la déforestation ainsi qu’à un mode d’alimentation nocif sur le plan sanitaire et non tenable pour l’ensemble des habitants de la planète

4)accompagnement d’un changement dans les modes d’alimentation, vers une alimentation moins carnée, utilisant plus de protéines végétales, moins salée, moins sucrée, plus diversifiée, moins basée sur les produits transformés, utilisant plus de produits locaux

5)Stratégie anti-gaspillage sur toute la chaine alimentaire

6)Politique éthique vis à vis des pays pauvres : ne pas envahir leurs marchés avec nos produits subventionnés, leur permettre de se développer par eux-mêmes.

En vous remerciant grandement du temps que vous consacrerez à ces questions, je vous présente, Madame, mes salutations distinguées.

Gwendal Delcros.

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