Colombie à Cali pour une ville durable
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Le colibri et la pachamama

Réflexions suite à la rencontre où j’étais invitée par l’Institut Français  en novembre 2015 en Colombie sur le thème de la ville et des espaces publics à Cali.

« J’ouvrirai ce propos par le récit d’une légende Amérindienne qui évoque l’histoire d’un petit oiseau. J’en ai vu et entendu partout ici à Cali, en pleine ville, des chants magnifiques, des silhouettes graciles. Cette biodiversité est une grande richesse, une force sur laquelle s’appuyer. Alors, imaginez soudain, le feu ! Un gigantesque incendie, tout autour dans les forêts, les champs, les montagnes. Tous les animaux affolés ne sachant plus quoi faire, courent dans tous les sens et tentent de se sauver… Dans l’affolement, le petit Colibri, l’oiseau mouche, le plus petit du monde, que l’on connaît bien en Colombie, prend, vivement de l’eau dans son bec et fait des aller-retour incessants pour verser quelques gouttes sur le feu. Alors, le gros tatou qui se sauve vient le voir, et lui lance agacé « Que fais-tu petit Colibri, tu sais bien que tu n’éteindras pas le feu ? ». Alors le petit Colibri impassible lui répond « Je sais, mais je fais ma part ».

Le pouvoir d’agir

Ce récit emprunté au philosophe Pierre Rahbi trouve ses racines en Amérique latine. Il m’est revenu spontanément pendant la découverte de la ville de Cali à la recherche de leviers et d’actions. A la rencontre des gens sans doute, leurs initiatives, leurs territoires et ses potentiels, des paysages, de la vigueur des contrastes et des inégalités, des tensions. Leur détermination face aux difficultés immenses est entrée en résonnance avec ce positionnement des plus humbles qui rappelle à chacun son rôle d’acteur. Une façon d’inviter le pouvoir citoyen à reprendre toute sa place. Un sujet récurrent. Cette image m’est venue de nos riches échanges entre experts aussi, du retour des personnes rencontrées dont le quotidien semé d’embuches n’entame pas la volonté. Partant de peu, les citoyens s’organisent, luttent et font bouger le monde. Pierre Rhabi utilise cette métaphore pour encourager à investir et reconstruire la force de changement, rappeler que dans ce monde insensé, fait de destruction et de violence, d’inégalités et d’excès, sur cette terre que nous partageons, la Pachamama que nous faisons souffrir, chacun a le pouvoir d’agir. Peut être même le devoir de lutter pour transformer. A Cali, le colibri est chez lui.

 

 

 

Potentiel

Après quelques jours d’échange, j’ai eu envie de revenir sur ces intuitions, de valoriser le humble pour questionner l’avenir, d’extraire de nos riches débats, les convictions fortes, parfois radicales et les propositions. Au travers d’une ville c’est tout un peuple que nous avons trouvé, dans nos échanges tout un continent. Mais l’interrogation lancinante reste la même finalement à Cali comme ailleurs. Puissions nous faire en sorte d’éviter d’en passer par le chaos pour faire changer le cours du monde, son modèle de développement, ses villes qui en sont le reflet, accumulations d’intérêts individuels en concurrence. Pourrait-on repenser les organisations humaines, sociales, démocratiques, urbaines, écologiques à partir d’un modèle sobre, respectueux et protecteur de la vie, de l’humain et de son écosystème pour en créer un autre modèle de développement plus efficace ? Sait-on saisir à chaque endroit les opportunités de l’histoire et de la géographie, de la nature et de la culture pour agir et concevoir autrement ? Mettre en commun, partager pour peser collectivement et infléchir au quotidien la trajectoire des villes ? Comment combiner le énergies au profit des biens communs, des espaces communs ? Ce que j’ai vu de très beau à Cali permet d’imaginer que ce potentiel énorme puisse servir aux habitants à en tirer de la fierté, à transformer l’image de la ville, à créer le collectif fort, des institutions aux habitants, un engagement pour un projet partagé. La ville, la biodiversité, l’activité, la culture, l’histoire, autant de facteurs disponibles pour retrouver le bien commun, un espace public partagé.

 

Une ville forte

Cali est une ville dont le tracé constitue une armature urbaine forte qui réussit, même là où l’autoconstruction domine, à « faire ville ». C’est une grande force. Des parcelles rythmées, des rues, parfois généreusement plantées. Je vois sur cette grille urbaine efficace s’épanouir par endroit une nature opulente, généreuse, certes un peu usée, par endroit un peu rapiécée mais qui ne demande qu’à repartir pour les générations qui viennent. Et puis, entrelacé, le cours de l’eau, abondante, qui révèle une savante et longue aventure entre l’homme et la géographie. Je vois aussi qu’à l’Est aujourd’hui, c’est le fleuve qui contient la ville et en constitue la limite. Combien de temps résistera-t-il ?

Car apparait déjà au sud la nouvelle gangrène qui s’étale – difforme – en lieu et place des espaces naturels, des ensembles de constructions aux formes aléatoires, fermées et recroquevillées sur elle-même, surprotégées et obèses qui ne rentrent même plus dans le canevas de la trame urbaine et la nient. Symptôme de l’étalement qui produit simultanément de l’anti-ville et de l’anti-nature, ces projets reflets d’une classe sociale qui se barricade, d’un dialogue rompu, ces espaces complètement privés ne sont pas une réponse, éventuellement une attente.

 

Biodiversité

A ce stade, on ne sait par quel bout engager la lutte frontale contre la mondialisation, le tort qu’elle porte aux villes et à leurs citoyens. La privatisation des espaces qui n’est même plus un projet mais une réaction. Ce système mondialisé qui ne fait qu’aggraver les inégalités, la violence, épuiser les ressources, détruire la planète et détraquer le climat abandonne une partie de son peuple, le livre à lui même. A Cali, il vit à l’est.

Gageons avec un potentiel écologique pareil, et l’envie de le faire vivre que les habitants s’en emparent. Cette richesse leur appartient, elle est un bien commun de Cali. Un processus qui peut garantir le début d’appropriation des générations futures pour engager le changement de modèle de société. Oui pour les habitants de Cali, les enfants que nous avons vus, la citoyenneté et l’inclusion sociale passent déjà par le sentiment de nature retrouvé, par son appropriation locale. Et non, la croissance, le productivisme et le consumérisme auxquels tous n’ont pas accès et s’en sentent frustrés, n’est pas une issue.

 

Un corredor verde 

A la croisée des quartiers de Cali, un projet émerge. Le pari de la transformation de la ville par l’intervention sur l’espace public, pour la reconversion d’un axe historique, ancienne voie ferrée, en axe structurant, support d’un transport moderne. Conçu comme vecteur d’urbanité, de densification de la ville et de la population, potentiel lien social entre quartiers qui s’ignorent, il constitue aussi un axe végétal porteur de biodiversité.

Le corredor verde est un pari métropolitain audacieux planifié dans le temps et soumis au débat qui initie, sur la base d’un financement privé, une progressivité lucide face aux aléas tout en proposant l’image engageante d’une volonté généreuse.

 

L’espace public est une ressource, un levier d’action d’une grande force, la mise en oeuvre de ce projet pourrait connaître une destinée progressive et structurante qui aiderait la ville à se recomposer et à se densifier tout en contribuant à l’amélioration de la mobilité du Nord au Sud, engageant simultanément l’évolution métropolitaine. La phase d’appropriation du projet menée tambour battant est le gage de l’enclenchement de la dynamique économique attendue.

 

Vu d’ailleurs

Contribuer à la réflexion pour l’évolution de la ville de Cali renvoi à un corpus de pratiques et d’exemples nombreux. L’essentiel des questions est abordé dans la démarche urbaine, durable et participative qui est présentée. Vu d’Europe, sur la base des débats du moment, quelques suggestions peuvent compléter le tableau au regard des questions écologiques.

 

La Planification des politiques publiques : A l’instar de la projection dans le temps du projet Corredor Verde, la constitution de documents relatifs à la valorisation des potentiels de Cali permettrait d’identifier précisement une trajectoire et des engagements. La stratégie Française qui invite à recréer les connexions écologiques, les corridors, les continuités, pour retrouver les chemins de la Biodiversité est résumée dans la Trame Verte et Bleue. Il s’agit de faire prendre conscience du potentiel écologique global, de le valoriser, de l’augmenter, de le faire partager et de l’insérer dans l’ensemble des politiques publiques. Le Plan Biodiversité est un document complémentaire valorisant.

 

La COP 20, conférence sur le climat s’est tenue fin 2014 à Lima au Pérou. La prochaine se tiendra à Paris en décembre 2015. Dans le contexte de l’avancée des négociations sur la préparation d’un accord international des 193 parties sous le patronage de l’ONU pour la réduction des émission de CO2, le Plan Climat Energie Territorial est un document de planification très potentiel pour entrer dans une phase de responsabilité face aux enjeux climatiques et énergétiques. Incluant notamment les études des îlots de chaleur, la thermographie des bâtiments, le bilan carbone, etc… la démarche permet à la collectivité d’anticiper les phénomènes climatiques nouveaux, de planifier la réduction de la consommation énergétique et de ses émissions de CO2 et développer le recours aux énergies renouvelables.

 

Cali ville « intelligente » ?

Les ambitions affichées par le gouvernement local pourrait trouver un levier facilitateur dans l’expression d’un programme de développement numérique à l’échelle de la ville, singulièrement à l’échelle du Corredor Verde et des espaces publics. Le déploiement des réseaux et des services au bénéfice des acteurs et des entreprises, de la citoyenneté et du développement économique combiné à un programme de facilitation à l’attention des plus éloignés pourrait trouver un écho certain parmi les habitants. La transformation fulgurante des usages et des solidarités, mais aussi des services et de l’économie ou des modes de travail, d’apprendre, voire des technologies de construction, des réseaux de distribution, des modes de déplacement, etc. sont des facteurs de création sans limite en ce moment. Combiner les objectifs de transformation écologique et numérique fondent sans hésiter les piliers de l’évolution de la pensée sur la ville et ses habitants de nos jours, sans garantie sur le produit final mais avec la certitude d’un grand chamboulement. Espérons le pour le meilleur !