En Grèce, la culture à mort

Il n’y a pas que les programmes Erasmus qui souffrent des politiques d’austérité infligées par le FMI, la Banque Centrale européenne et la Commission de Bruxelles à la culture et aux échanges culturels et universitaires en Europe.
La décision du gouvernement grec de fermer le Centre national du livre après 19 ans de services suscite un tollé dans les milieux culturels, qui dénoncent un sacrifice de la culture sur l’autel de l’austérité.
Le couperet est tombé avec un récent communiqué du ministre de la Culture, Costas Tzavaras annonçant sa décision de confier « la politique publique du livre à la direction compétente » de ses services.
« Il y a évidemment des raisons financières, mais pas seulement, le fonctionnement du Centre n’était pas jugé satisfaisant, l’idée est de centraliser la politique du livre au ministère, où les services compétents seront revalorisés », a commenté pour l’AFP une source du ministère.
M. Tzavaras, qui avait précédemment destitué la direction du Centre national du livre -Ekebi en grec- en invoquant un écart déontologique dans l’attribution d’un marché public, n’a toutefois pas convaincu.
Une pétition de protestation circule parmi auteurs, éditeurs et intellectuels, tandis que l’Union du livre, qui représente le secteur a vu dans l’annonce ministérielle la preuve du « total manque d’intérêt de l’Etat pour la culture et l’éducation ».
Le parti de gauche modérée, Dimar, membre de la coalition gouvernementale, s’est également mobilisé, tout comme le monde académique.
« Cette décision est une stupidité, émanant de cette conception qu’en matière de culture, seuls comptent les monuments, car ils font venir le touriste« , assène l’auteur de polars Petros Markaris, dont les romans célèbres dans toute l’Europe dissèquent au scalpel la faillite, financière, mais aussi morale et politique, de la Grèce.
« En période de crise, on ne ferme pas un organisme de culture, c’est au contraire le moment où l’on en a le plus besoin, M. Tzavaras n’avait qu’à réunir les responsables et leur demander des solutions pour parer le manque d’argent », relève-t-il pour l’AFP.
« La fermeture d’Ekebi crée un grand vide, et il est exclu qu’il puisse être comblé par les services du ministère, ce n’est vraiment pas bon pour le profil culturel du pays », juge pour sa part l’agente littéraire Catherine Frangou.
Au ministère, on admet « comprendre cette méfiance », tout en promettant de la démentir.
Contrainte cet automne à de nouvelles coupes dans le secteur public par ses bailleurs de fonds, UE et FMI, la Grèce surendettée a entrepris de fermer ou fusionner quelque 150 organismes publics.
Pendant ce temps, « elle a finalement décidé de maintenir sa participation à l’Eurovision », ironise l’écrivain Christos Homenidis.
Directrice remerciée du Centre, Catherine Velissaris déplore un « vaste mouvement jacobin de recentralisation de toutes les politiques vers les ministères », réputés pour leurs lourdeurs bureaucratiques et clientélistes.

« Tous les secteurs culturels sont touchés », s’inquiète Mme Vélissaris. Elle cite notamment le Festival d’Athènes du spectacle vivant, toujours privé de direction cinq mois avant son ouverture prévue, alors que son précédent directeur, le franco-grec Georges Loukos, en avait fait une success story.
« L’Ekebi coûte peu à l’Etat et lui rapporte beaucoup », ont de leur côté mis en avant ses 35 employés, la plupart en contrats précaires et ayant accumulé des mois de salaires impayés.
Pour 2012, le budget, réduit au minimum, était de 1,5 million d’euros, dont plus de la moitié issus de fonds européens.
Avec un site internet devenu incontournable (Ekebi.gr), l’organisation d’actions ciblées vers le public jeune et d’expositions, le Centre peut se prévaloir d’avoir élargi, notamment à l’étranger, la diffusion des lettres grecques, relayant le dynamisme d’un secteur pourtant handicapé par sa petite taille et sa langue rare.
En son absence, les professionnels s’inquiètent dans l’immédiat de l’avenir de la Foire internationale du livre de Salonique, programmée en avril.
Ils redoutent aussi que la manne financière européenne de soutien à la culture ne se tarisse, faute de partenaire.
Le tout alors que le livre grec est déjà en souffrance, après trois ans de rigoureuse austérité: « les ventes ont chuté de près de 40%, et toute la chaine est asphyxiée par le manque de crédit et de liquidités », relève Mme Vélissaris.
Dans La Croix du 21 janvier 2013,le président du Centre national du livre français Jean-François Colosimo, déplore cette décision : « Ekebi avait été créé sur le modèle de notre CNL et nous avions instauré d’étroites collaborations, accordant des bourses à des auteurs, et soutenant fortement les flux de traductions dans les deux sens. Nous avions, par exemple, lancé en juin 2011 un programme d’aide de 150 000 €, afin de préserver autant que possible ces échanges fructueux entre nos deux pays. La Grèce est un pays de 10 millions d’habitants où l’on traduit autant de livres que dans l’ensemble du monde arabe. Aujourd’hui, la filière du livre en Grèce est en difficulté : les éditeurs ne payent que très difficilement les auteurs. Les libraires ne payent que très difficilement les éditeurs… La perte de cette institution, qui permettait de maintenir une forme de solidarité, est préoccupante. »
Décidement, le renflouement des banques par l’argent des contribuables n’est guère payé en retour et l’Union bancaire semble davantage affairer nos gouvernants que la construction culturelle d’une Europe démocratique.

Pour interdire à l’austérité de nous précipiter dans le tunnel de la destruction politique de l’Europe, il est nécessaire d’abandonner la pieuse illusion de pouvoir sauvegarder les droits civils alors même qu’une compétition fondée sur le pouvoir illimité de la finance déréglementée comprime les droits sociaux, élimine les bases des échanges et de la diffusion culturels, supprime les outils d’avenir de la citoyenneté européenne.
La faillite de l’Europe de Maastricht, Nice et Lisbonne appelle une claire explication d’une stratégie de sortie de la gestion purement monétaire et financière de l’Union.

A quand la révolution écologique et citoyenne de l’Europe?



La suppression très contestée du Centre national du livre grec

La Croix-Jan 21, 2013