ERIKA : IL IL EST INCONCEVABLE QUE LA COUR DE CASSATION ANNULE L’ARRÊT PRONONCÉ EN APPEL !

Ainsi, le procès de la catastrophe écologique causée par le naufrage de l’Érika, sur 400 km de côtes du Finistère à la Vendée serait, selon l’avis de l’avocat général et le rapport préparatoire au débat, soumis à la cassation totale, sans renvoi, de l’arrêt prononcé en appel par la cour de Paris en mars 2010.

Alors qu’ils ont été condamnés en première instance et en appel, pénalement aux amendes maximum pour « préjudices matériel, écologique et moral », les prévenus, Total, affréteur, Rina, société de certification, Savarese, armateur et Pollara, gestionnaire, se pourvoient en cassation.

C’était la première fois qu’un affréteur était considéré responsable pénalement d’une pollution aux hydrocarbures et que le préjudice écologique était reconnu.

Ils n’admettent pas leur responsabilité dans ce naufrage. Soit, mais cela ne les empêche pas de proposer avant le procès en appel, et plus récemment, sous le regard de l’État, avant ce dernier procès en cassation, des tractations aux collectivités territoriales : les indemnités en échange d’un abandon de procédures. Jacques Auxiette, président des Pays de Loire témoigne dans Libération de deux réunions, une au siège de Total et une autre au service juridique de Bercy où les représentants des trois régions Bretagne, Pays de Loire et Poitou Charente ont été « rassurés » sur la solvabilité de Rina et incités à abandonner le pourvoi en cassation suite aux versements des indemnités ( 6,6 millions d’euros pour la Bretagne, 8, 5 aux Pays de la Loire, 2,2 millions d’euros pour le Finistère, et pour Cap l’Orient, presque un million )

Alors, pourquoi payer les amendes quand on n’est pas responsable ?

Plus précisément, l’argumentation s’articule autour du lieu du naufrage : la pollution a bien touché les côtes mais le navire s’est plié à 70 km au sud de la pointe de Penmarch, soit environ 30 km au-delà de la zone côtière, seule zone considérée soumise à la législation de l’État côtier pour les navires battant tous pavillons. En zone économique exclusive (au delà de la zone côtière), seuls les navires battant pavillon de l’État côtier sont soumis à sa loi : l’Érika battant pavillon maltais ne relèverait donc pas de notre loi mais de celle de Malte.

Cet argument ne tient pas, la jurisprudence internationale dans l’affaire du Lotus a déjà tranché cette question (1)

Les compétences des États côtiers sont précisées dans la Convention des Nations Unies pour le droit de la mer (CNUDM de 1994). La grande nouveauté dans cette convention-cadre est justement la reconnaissance officielle internationale de la ZEE, puisque, avant cette reconnaissance, au-delà des eaux territoriales, c’était la haute mer, échappant à la souveraineté de toute nation, zone de non-droit par excellence.

Pour résumer, dans la ZEE l’état côtier a des droits souverains (exploration, conservation, gestion des ressources, voire exploitation à des fins économiques, production d’énergie ) et des droits de juridiction ( recherche, protection et préservation du milieu ). En matière de pollution aux hydrocarbures, l’État côtier n’a pas de souveraineté mais dispose d’une juridiction limitée en vertu des règles générales d’attribution des compétences étatiques contenues dans le droit international général.

Toutefois, au pénal, les termes de territorialité subjective et territorialité objective sont souvent employés. Ainsi, un état peut être considéré compétent quand un acte a été commis hors de son territoire (territorialité subjective) mais dont un des éléments constitutifs de l’affaire s’est produit sur son territoire (territorialité objective)

La cour pénale de justice internationale a d’ailleurs reconnu ce principe dans l’affaire du Lotus en 1927 où elle a déclaré :

«il est constant que les tribunaux de beaucoup de pays, même de pays qui donnent à leur législation pénale un caractère strictement territorial, interprètent la loi pénale dans ce sens que les délits dont les auteurs, au moment de l’acte délictueux, se trouvent sur le territoire d’un autre État, doivent néanmoins être considérés comme ayant été commis sur le territoire national, si c’est là que s’est produit un des éléments constitutifs du délit et surtout ses effets.»

D’ailleurs, en France, l’article 113-2 du Code Pénal applique ce principe de territorialité objective. Il dispose :

«L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire.»

En droit international ce qui n’est pas interdit est permis : «les limitations de l’indépendance des États ne se décrètent pas».

D’autant qu’ici, sur l’affaire de l’Érika, aucun recours ne vient de l’État maltais.

Il est incontestable que le naufrage a bien eu lieu en ZEE mais la pollution est bien un fait constitutif de l’affaire et a touché la zone côtière.

Autrement dit, si des mesures avaient été prises pour contenir la pollution dans les eaux de la ZEE, l’argument de l’avocat général aurait été entendable mais là, ce n’est pas le cas.

Enfin, l’avocat général présente son avis sous l’égide du procureur général de la Cour de Cassation, Jean-Claude Marin, nommé dans cette fonction en juillet 2011 par le conseil des ministres.

Jean-Claude Marin, précédemment procureur de Paris, a pris des décisions dans des affaires financières, notamment Clearstream, Karachi et biens mal acquis, qui ont été critiquées pour sa méthode consistant à multiplier les enquêtes préliminaires qu’il pilote, au détriment des informations judiciaires données aux juges d’instruction, freinant ainsi les enquêtes par soumission au pouvoir.

Dans ce contexte politique et juridique, il me paraît inconcevable que la cour de cassation suive les avis de l’avocat général et du rapporteur : quand la législation internationale vise à la prévention de nouvelles marées noires en améliorant le système juridique, notamment les paquets Érika 1 et 2 pour l’espace maritime européen, comment imaginer qu’en France, la cour suprême assume un recul aussi injustifié ?

(1) voir article de Tetley Andrew, « Pollutions maritimes des zones côtières – comparaison entre les infractions pénales en matière internationale », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Hors-série 8 | octobre 2010, mis en ligne le 21 octobre 2010