J’ai mal à mon Alsace !

Une fois encore le rejet, le repli, le refus des différences y polluent l’expression démocratique.

Comment expliquer les scores insoutenables réalisés à nouveau dans notre région par un parti que la constitution française permettrait d’interdire ?

Comment faire comprendre à ceux qui, en choisissant le Front National, votent contre leurs intérêts, à quel point ils se trompent en faisant confiance à des candidats ayant enseveli au fond d’eux-mêmes jusqu’à l’idée même de communauté universelle des hommes ?

Comment parler à ce groupuscule de costauds décomplexés et braillards qui, hier soir à Sélestat, au moment de la proclamation des résultats, Salle Sainte-Barbe, ont laissé éclater une joie féroce et triviale à l’annonce de la très bonne performance de la fille Le Pen, dont le prénom offense la mer, symbole d’ouverture vers l’infini ? Ces lascars commentaient bruyamment le premier tour, de la réjouissance aux lèvres, du mépris aux commissures, avec quelque chose de sous-jacent, de sournoisement contenu, qui s’apparentait à la haine plutôt qu’à l’exultation.

J’ai mal à mon Alsace, car ces énergumènes s’exprimaient en alsacien. Dans la langue de Nathan Katz, de  René Schickelé, de Conrad Winter ou d’André Weckmann, qui ont écrit des choses universelles et fraternelles.

Comment leur dire de changer de cap le 6 mai ?

Il ne reste plus que Hollande pour faire barrage à l’idée d’une société refermée sur elle-même, refondée sur des pulsions aussi négatives, aussi mortifères que l’exclusion, la discrimination et la domination, ou attachée à des postulats aussi irrationnels que celui de la pureté ethnique.

Je mesure bien le paradoxe de mon discours : en m’expliquant comme je viens de le faire, je suis conscient de n’atteindre que des lecteurs ayant acquis l’habitude de lire autre chose que des slogans publicitaires, des gens capables donc d’accéder à une pensée plus évoluée que celle qui se réduit à capter les messages les plus sommaires d’une société submergée par la marchandise.

Alors, comment faire pour éduquer, former l’esprit critique, sensibiliser aux vraies valeurs de justice, de fraternité, d’égalité ? Comment convaincre tant de monde, tant d’électeurs, de choisir la liberté de penser, plutôt que la soumission à une autorité puisant son  inspiration dans les dérives et les aberrations des temps les plus obscurs de l’humanité ?

J’ai mal à mon Alsace et mes mots, je le sens bien, ne l’atteindront pas demain. Ni même après-demain.

J’aimerais pourtant ne pas finir ma vie dans une Alsace qui, à raison d’un tiers au moins de ses habitants  et de manière péniblement récurrente, se soumet à une idéologie qui, il n’y a guère (naguère donc !), était allée jusqu’à permettre que se construisît, sur le flanc nord d’une rude montagne, un camp terrible, un camp d’hiver moral, un camp d’ignominie absolue.

Oui, j’ai mal à mon Alsace.

Le 6 mai, si Hollande est élu, commencera pour lui cette noble tâche : tout entreprendre pour que reculent, en Alsace comme ailleurs, mais en Alsace surtout, en tant que cœur d’Europe, pour que refluent significativement les idées vénéneuses dont le continent, dont la planète ne devront plus accepter la banalisation, comme a choisi de le faire, avec le plus cynique des opportunismes, le président sortant, que les Français (de l’intérieur !) sortiront dans 13 jours.